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Delphine Seyrig rencontre Mary Barnes

Delphine Seyrig rencontre Mary Barnes
Le réalisateur Abraham Ségal conçoit entre 1984 et 1986 une série de documentaires explorant les champs de la psychiatrie en France. L’un d’eux, Couleurs Folie, est une rencontre entre l’actrice Delphine Seyrig, qui a incarné le rôle d’Aloïse, et la peintre Mary Barnes.

Couleurs Folie a été conçu au départ comme un prologue au troisième film de la série Hors les murs (1984-1986). Cette série documentaire proposait trois manières de vivre avec la folie, trois pratiques alternatives qui se situent à la lisière du champ de la psychiatrie en France 1.

Le réalisateur Abraham Ségal, qui a notamment réalisé Enquête sur Abraham (1996) et Le Mystère Paul (2000), qualifie Couleurs Folie de film-rencontre. En effet, à son initiative, Mary Barnes et Delphine Seyrig se rencontrent à Paris pour la première fois en 1986. En 1975, Delphine Seyrig tournait dans le film Aloïse de Liliane de Kermadec et découvrait à cette occasion l’ouvrage Mary Barnes, Two Accounts of a Journey Through Madness (Mary Barnes, un voyage à travers la folie, Ed. du Seuil, 1971) coécrit avec Joseph Berke. Dans le film, Delphine Seyrig jouait le rôle d’Aloïse Corbaz, une jeune femme suisse internée dans un asile d’aliénés où elle ne cessa de peindre jusqu’à sa mort à 78 ans.

Couleurs Folie, tourné dans l’appartement de Delphine Seyrig à Paris, entre dans l’intimité de la rencontre des deux femmes. Cadrées au plus près, tout en laissant le champ libre à la vie de la maison un chat passe elles confrontent leurs points de vue autour de “l’aventure de la folie”. Mary Barnes avait pu voir le film Aloïse la veille du tournage. Delphine Seyrig parle de son expérience d’actrice et Mary Barnes raconte des épisodes de sa vie.

Des photos du tournage d’Aloïse et des peintures d’Aloïse Corbaz défilent. Delphine Seyrig évoque en voix off le parcours de Mary Barnes à Kingsley Hall. On découvre plusieurs de ses peintures à l’écran. Elle révèle son attirance pour le monde intérieur tout en s’enthousiasmant pour les premiers pas de l’homme sur la lune et l’exploration spatiale.

L’échange entre les deux femmes se poursuit autour du rapport entre création et folie.

Mary Barnes souligne le fait qu’Aloïse a trouvé une voie d’expression dans la peinture et les couleurs dont elle revendique elle-même l’importance : “Le rouge c’est beau vous savez pour les schizophrènes.” Delphine Seyrig a fait le choix de ne pas jouer la folie, elle revendique la recherche en soi, dans son enfance, et insiste sur l’importance d’évacuer l’expression “pas normal”. Mary Barnes voit en Aloïse psychotique une femme qui craque comme elle-même : “C’est sorti de moi comme un volcan.”
Puis, accroupie au sol, elle prend les tubes de peinture, les presse, en fait sortir des couleurs vives, travaille directement avec ses mains, ses doigts, sur une toile. La caméra accompagne ses gestes. On perçoit l’amour pour la matière et le contact avec la consistance de la peinture. Delphine Seyrig regarde, contemple cette frénésie créative, et avoue son trouble devant la “vraie” Mary Barnes, elle qui fut la “fausse” Aloïse.

 

 

Couleurs Folie faisait partie de la programmation des rencontres Films et Folies créées en 1986 par Delphine Seyrig et Abraham Ségal, le collectif Traverse et le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir. Riche programmation de 65 films, débats et tables rondes dans plus de dix-huit villes en Ile-de-France, et une vingtaine en région. Les années 1970-80 sont une période d’effervescence autour des questions de la psychiatrie asilaire, des expériences italiennes de Franco Basaglia, anglaises de David Cooper, Ronald Laing et Joseph Berke, et des écrits de Félix Guattari.

“A l’origine du projet des rencontres Films et Folies se trouvent deux associations : le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir où des femmes archivent, produisent et diffusent de la vidéo lieu de réflexion et d’échanges sur les rapports sociaux, l’action des femmes, la créativité et l’exclusion et le Collectif Traverse, formé par des patients, des psychanalystes et autres “psy”, et aussi des gens venus du théâtre, de la philosophie, du cinéma… Les membres de ce “réseau alternatif” cherchent à mettre en pratique des rapports nouveaux entre société, folie et culture.” (Texte d’Abraham Ségal pour le catalogue de Films et Folies, 1986-1987).

 

Nicole Fernández Ferrer, déléguée générale du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir (décembre 2012)

 

1 La série Hors les murs (1 - Passage critique ; 2 - Projet ou aventure ? ; 3 - Paroles à vif) ne sera pas diffusée sur Antenne 2 comme prévu car la productrice souhaitait que la différence entre fous et “non fous” soit plus visible, que l’on reconnaisse immédiatement le malade et le bien portant.