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Le cinéma en tant que reflet d’un pays et de son histoire

Le cinéma en tant que reflet d’un pays et de son histoire
Hubert Niogret poursuit son exploration des cinématographies nationales. A l’occasion de sa trilogie sur le cinéma indien, rencontre avec le réalisateur producteur et critique de cinéma.

Né à Lyon en 1945, Hubert Niogret écrit depuis 1969 dans Positif. Il se fait connaître pour ses textes sur le cinéma asiatique, en particulier le cinéma japonais auquel il consacre plusieurs ouvrages, notamment sur Akira Kurosawa et Shohei Imamura. En plus de son activité de critique, il est producteur depuis 1974, notamment des premiers longs métrages de Claude Miller, mais aussi de Jean-Louis Comolli, Pierre Zucca ou Luc Béraud. Son intérêt pour le format court le pousse à cofonder l’Agence du court métrage en 1983, et à produire en 1995-1996, une émission hebdomadaire pour la Cinquième, Fenêtre sur court. Il réalise son premier documentaire sur un cinéaste en 1996 : Le Travail d’un cinéaste : Julien Duvivier – cinéaste auquel il a consacré un ouvrage 1 – et poursuit son exploration asiatique avec des documentaires sur les cinémas de Hong-Kong, de Corée du Sud, de Thaïlande, de Chine, d’Inde ou encore des Philippines.

 

 

Vous êtes d’abord entré dans le cinéma par la critique, à Jeune Cinéma puis à Positif.

J’avais une double idée en tête : faire des films en tant que producteur ou réalisateur et faire de la critique de cinéma. J’ai toujours fait les deux choses parallèlement. Très vite, j’ai monté une société de production de courts métrages, avec laquelle j’ai beaucoup produit, puis je suis passé au long métrage, tout en écrivant dans Positif. Cela a été important pour moi d’être à la fois dedans et à l’extérieur, même si les choses étaient très séparées. Beaucoup des films que j’ai produits n’avaient pas de rapport avec Positif, voire même, dans certains cas, n’étaient pas vraiment aimés par la revue… J’ai produit le premier film de Jean-Luc Comolli, qui venait des Cahiers du cinéma, même s’il n’y écrivait déjà plus à l’époque.

 

Aujourd’hui, pourquoi ne produisez-vous plus de longs métrages ?

Je n’ai pas produit de longs métrages depuis longtemps, et je ne sais pas si j’en produirai à nouveau parce les conditions ont beaucoup changé. Ce n’est plus le même métier, et je ne suis pas sûr de savoir le faire. J’ai essayé de produire un long l’année dernière, une coproduction hongroise, roumaine et suédoise. J’espérais qu’elle soit aussi française mais je n’ai pas trouvé d’argent en France. Et puis, ayant commencé à un moment à produire pas mal de documentaires, j’ai eu envie de relier mes activités de critique à celles de producteur. J’ai donc produit des documentaires sur le cinéma, et puis très vite, j’ai voulu les faire moi-même, quand c’étaient des sujets que je connaissais bien. Après un premier film sur Julien Duvivier, j’ai convaincu Ciné Classics de faire un documentaire sur Jacques Becker. Peu de temps après, le responsable m’a demandé de faire un film sur René Clair parce qu’il y avait un anniversaire quatre mois plus tard. Comme c’est également un cinéaste que j’aime beaucoup, je tournais l’un le matin, l’autre l’après-midi. Sur des sujets que je connais moins bien par contre, je confie la réalisation à quelqu’un d’autre. Mais quand un ami me propose de produire son film sur la comédie italienne, même si c’est un sujet que je connais bien, c’est lui qui va le réaliser. Autre cas de figure : il y a trois ans, le directeur de la Cinémathèque de Bologne, Gian Luca Farinelli, m’a dit que deux Italiens avaient énormément tourné sur Sam Peckinpah – cinéaste que j’adore – mais que si quelqu’un ne les prenait pas par le col de la veste, ils n’accoucheraient jamais de leur film. Je les ai donc rencontrés et j’ai coproduit le film avec l’Italie. Ils avaient tourné depuis des années, avaient des témoignages de gens décédés et cela restait dans des boîtes !

 

Vos documentaires tournent cependant autour de deux grands sujets, l’Asie d’aujourd’hui et la France des années 1930-1940.

Le cinéma asiatique, c’est une vieille passion qui a commencé avec Kurosawa. Mais je vois aussi beaucoup de films américains : pour Positif, je fais énormément d’interviews de cinéastes américains, ne serait-ce que parce qu’on n’est pas très nombreux à parler anglais couramment. Le cinéma français, je le connais bien, je vis dedans. J’ai réalisé un film de trois heures : Mémoires du cinéma français [2004].

 

A part pour le troisième volet de ce film, vous travaillez peu sur le cinéma français d’aujourd’hui.

C’est vrai. J’ai un problème avec le cinéma français d’aujourd’hui. Les questionnements sur l’Histoire et la société sont absents du cinéma très contemporain et cela me rend triste. C’est leur choix, mais c’est un cinéma très déconnecté des réalités de la vie. Une exception : quand Robert Guédiguian réalise La ville est tranquille [2000] ou Le Promeneur du Champ de Mars [2005], c’est remarquable. Mais je ne trouve pas la même force, la même continuité dans son œuvre que dans les films de Claude Miller. Et je ne dis pas cela parce que je l’ai produit par deux fois. On est lié à sa génération et moi j’appartiens à celle de Claude Miller,  Bertrand Tavernier, Luc Béraud, Yves Boisset. J’ai un manque avec le cinéma qui arrive après.

 

Vous avez réalisé des documentaires sur le cinéma de Hong-Kong, de Thaïlande, de Chine, de Corée, d’Inde… C’est une vraie série sur l’Asie.

Je viens d’ailleurs de tourner aux Philippines. Ces documentaires sur les cinémas asiatiques forment une collection informelle que j’ai entreprise à l’origine avec Lorenzo Codelli, collaborateur italien de Positif. C’est ensemble que nous avons eu l’idée de faire des films portraits de cinématographies nationales peu connues du public.

 

Saviez-vous qu’après les cinématographies de Corée ou de Chine vous exploreriez celles d’Inde ou des Philippines ?

Quand je suis en train de terminer un film, je me demande toujours quel sera le prochain. J’essaie toujours de livrer à Ciné Cinéma le film fini avec le scénario du prochain. C’est une règle. Pour le choix du pays, c’est  mon envie qui décide bien sûr, mais c’est l’opportunité aussi : cela dépend du contexte, de la période. Par exemple, je n’aurais pas eu idée il y a quatre ans de faire un film sur le cinéma philippin. Là c’était le moment ; il y a eu l’année dernière une réémergence du cinéma philippin. Pour ce sujet, j’ai réussi à convaincre la chaîne parce que Brillante Mendoza avait eu un prix au festival de Cannes et que deux, trois films philippins étaient sortis, des films qu’ils peuvent acheter. Si je ne peux pas m’appuyer sur ce type d’événement, c’est difficile. A la rétrospective récente à Beaubourg sur les cinémas de Singapour et de Malaisie, il n’y avait pas beaucoup de spectateurs, à part pour les films d’Eric Khoo. Le cinéma philippin est un cinéma que j’ai bien connu dans les années 1970, avec Lino Brocka, dont plusieurs films sont sortis en France. Après sa mort en 1991, le cinéma philippin est tombé au troisième sous-sol, la connaissance que nous en avions du moins, car je me suis aperçu en faisant des recherches qu’à côté de Lino Brocka, il y a bien d’autres cinéastes intéressants qu’on n’a pas su voir à ce moment-là.

 

A quel point vos films sont-ils écrits ? Aviez-vous conçu au préalable les trois parties des Cinémas indiens, du Nord au Sud ?

Tout est écrit avant. Le cinéma indien, j’avais envie de l’aborder depuis un certain temps mais je savais que c’était difficile : je ne pouvais pas le faire en une heure tellement le sujet est vaste. Et Ciné Cinéma a accepté les trois fois une heure. J’avais déjà l’idée d’une certaine répartition linguistique, culturelle et historique, du nord au sud. Il y avait une structure en place. J’ai donc commencé par Calcutta, car c’est le cinéma le plus ancien ; c’est là qu’il s’est développé en tant qu’industrie. Je suis ensuite descendu vers le cinéma hindi, qui est le plus connu, en essayant de montrer autre chose que Bollywood. Et puis j’ai fini avec le sud : le cinéma le plus méconnu, mais le plus important en nombre de spectateurs.

 

Vous aviez déjà choisi toutes les personnes que vous vouliez rencontrer ?

Oui, cela dépend des pays, mais pour le cinéma indien, il y en avait une bonne moitié que je connaissais déjà, et même certains que j’avais déjà interviewés. Je choisis donc à l’avance des personnalités représentatives avec un certain nombre de critères. Par expérience, je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas que je dépasse dix ou douze personnalités pour une heure de film. J’en ai gardé quatorze dans Le Cinéma chinois, d’hier et d’aujourd’hui [2007] et beaucoup de spectateurs sont perdus. Aux Philippines, on me poussait pour que j’en fasse d’autres ; j’ai refusé. Ensuite, je privilégie les réalisateurs qui sont des cinéastes que j’aime, je choisis quelques acteurs, éventuellement un technicien ou un producteur pour avoir un éventail diversifié. Je pars avec une liste plus grande que mes besoins pour pallier aux absences et maladies. Je reçois peu de refus. Pour Les Renaissances du cinéma coréen [2005], cela a été beaucoup plus facile au niveau des contacts, car je connaissais tout le monde : j’avais interviewé Im Kwon-taek cinq fois, Lee Chang-dong quatre fois, Kim Ki-duk deux fois. Le seul cinéaste que je ne connaissais pas, c’était Bong Joon-ho, et Lee Chang-Dong l’a appelé pour moi.

 

Vous choisissez aussi toujours un critique.

Oui, pour avoir plus de recul. Les cinéastes ne sont pas des historiens. J’aime qu’ils racontent le cinéma qu’ils ont vécu, qui les a émus, ou qu’ils ont connu dans leur jeunesse, mais j’ai parfois besoin de plus de mise en perspective. En général, j’interroge un critique en dernier, car si je sens que j’ai un trou dans les interviews, je sais que le spécialiste le comblera. C’est nécessaire pour la compréhension et la construction. Pour le cinéma indien, Aruna Vasudev avait un double avantage : elle parle hindi mais elle est ouverte au cinéma du sud et sur l’Occident ; donc, elle fait appel à des critères de jugement pas seulement indiens mais internationaux.

 

Vous donnez aussi une belle place aux professeurs. Par exemple à Ni Zhen, sur le cinéma chinois.

Ni Zhen est un cas à part. Lorenzo Codelli m’avait signalé son livre, absolument extraordinaire, sur la Cinquième Génération 2. Je n’étais pas sûr qu’il puisse me parler de cinémas différents, mais j’étais sûr que je tenais quelqu’un de formidable.

 

Par contre, vous, vous n’intervenez jamais directement.

Jamais ! Je coupe mes questions. Le problème se pose car je viens de publier un ouvrage sur Julien Duvivier et on me demande de faire un film dans la série Il était une fois… créée par Serge July 3. J’ai suggéré Le Petit Monde de Don Camillo de 1951, qui est un vrai film sur la Guerre froide. On m’a proposé d’intervenir moi-même en tant que spécialiste de Duvivier. Mais je n’ai pas envie de me mettre en scène dans un documentaire. Je trouverai donc un autre spécialiste.

 

 

La série Il était une fois…a ceci en commun avec votre approche qu’elle part d’un point de vue historique : comment un film existe dans son époque, se fait le reflet de l’Histoire.

C’est effectivement l’angle de tous mes films. Le cinéma m’intéresse en ce qu’il est le reflet d’un pays et d’une Histoire. Ce n’est pas pour rien que je m’intéresse à l’Asie qui connaît tant de mutations : je pense à la Chine, à la Corée, mais aussi à la Thaïlande ou aux Philippines. Les réalisateurs qui font des films sous la dictature de Marcos ne vont pas faire les mêmes films après : certains films ne peuvent plus se faire quand Marcos disparaît, de nouveaux réalisateurs apparaissent… La situation politique, culturelle et sociale n’est plus la même. Le rapport du cinéma avec l’Histoire est donc très important ; d’autant plus en Asie qu’en Europe où la démocratie est stable depuis la guerre.

 

Les soubresauts et revirements historiques ont engendré un style, une façon de raconter, de filmer différente. C’est visible dans le cinéma chinois en particulier.

Absolument. Quand on parle des générations du cinéma chinois, ces différentes générations sont liées à des événements historiques précis. Cela ne fait pas très plaisir à certains Chinois quand on dit que la Sixième Génération est celle de Tiananmen, mais c’est la réalité. La Cinquième est née de la Révolution culturelle, la Quatrième de la Seconde Guerre mondiale. Malgré l’apparence d’une stabilité, c’est en fait un pouvoir qui évolue, et cela engendre des générations de cinéastes qui ne font pas les films de la même manière, qui ont des narrations et des styles différents, qui se préoccupent différemment des choses. La Cinquième Génération interroge directement l’Histoire parce qu’elle estime qu’il y a lieu de l’interroger. La Sixième Génération ne s’intéresse pas à l’Histoire, mais à la vie sociale, notamment aux tabous qui sont au cœur de la vie quotidienne : le chômage, la drogue, l’homosexualité… C’est pour ça qu’ils ont de mauvais rapports avec le pouvoir en place. Ils ne sont pas dans la ligne…

 

Dans ce contexte, rencontrez-vous des difficultés politiques à faire vos films ?

Non, mais je prends certaines précautions. Par exemple, je n’ai pas interviewé Jia Zhang-ke ou Lou Ye en Chine mais à Paris ou à Cannes. Je pensais que je pouvais rencontrer un problème et que eux surtout pouvaient en avoir un. Et ils se sentaient plus libres pour parler.

 

Vous prenez souvent vos techniciens sur place. Comment les choisissez-vous?

Comme pour bénéficier du COSIP au CNC, il faut un certain nombre de points, je prends le chef opérateur en France, mais cela ne me poserait aucun problème de prendre un opérateur local. Je prends toujours l’ingénieur du son et l’électricien sur place. En général, j’appelle un cinéaste que je connais bien. Je peux appeler Wong Kar-wai demain et lui dire “trouve-moi un très bon opérateur, un jeune type pas trop cher, quelqu’un de bien”, et je sais qu’il va me trouver quelqu’un de formidable. C’est un atout de taille, et je peux le faire dans tous les pays. Quand j’ai réalisé Shaw Brothers Story (2003), Johnny To était coproducteur ; il ne pouvait pas mettre d’argent, mais il m’a donné une équipe. Il a des gens engagés à l’année pour tourner deux ou trois films au moins. Il faut dire que ces pays sont souvent un peu plus avancés, pas seulement au niveau de la production mais aussi au niveau des salles par exemple. Aux Philippines, ils utilisent un format qu’on ne connaît pas ici pour livrer un film en vidéo HD aux exploitants. En Inde, c’est plus compliqué, cela dépend de la richesse des régions. A Calcutta, j’ai un peu peur quand on va chez le loueur de matériel ; mais à Bombay, le matériel est impeccable car on y tourne sans arrêt.

 

Dans tous vos films, la place de l’économie est importante, notamment les changements liés à la salle de cinéma. Dans votre documentaire sur l’Inde, vous filmez les devantures de cinéma, vous montrez les affiches, et vous évoquez les transformations des grandes salles qui deviennent des multiplexes en se scindant en petites salles.

En Inde, le cinéma est une machine très bénéficiaire. Les multiplexes ont apporté l’idée formidable qu’avec plus de salles, on pouvait proposer des choix différents et passer un film indépendant dans la plus petite salle. Ce n’est pas encore le cas aux Philippines. Dans la “cinquième” salle aux Philippines, passe un film de télévision américain. Les films de Brillante Mendoza ou de Raya Martin ne sont pas vus et ne sortent pas forcément en salle. Ils ont une sorte de café-cinéma où ils font des projections en vidéo. Mendoza croit qu’ils vont arriver à imposer l’idée de cette “cinquième salle indépendante”, mais cela dépend du gouvernement. Les élections ont lieu dans un mois et demi.

 

Le fait de faire un documentaire sur le cinéma philippin plutôt qu’un livre, était-ce une évidence ?

Oui, mais sur la Corée du Sud, par contre, j’ai en projet un livre issu de ce que j’ai écrit dans Positif, du documentaire [Les Renaissances du cinéma coréen] et d’autres choses encore. Pour un film, il y a la nécessité de le faire en tant que production. Et la possibilité. J’ai très envie d’écrire un livre sur Douglas Fairbanks Junior, mais ce serait très difficile de faire financer un film sur cet acteur aujourd’hui. Kevin Brownlow, l’historien anglais, a d’ailleurs ce projet. Il essaie de le monter depuis quatre ans, mais personne n’en veut, ni BBC, ni Channel 4, alors qu’il a écrit une œuvre majeure sur les pionniers d’Hollywood 4.

 

N’y a-t-il pas l’idée qu’un film documentaire se doit d’être plus pédagogique qu’un livre ?

Le téléspectateur qui regarde un programme sur le cinéma chinois peut ne rien y connaître. Il faut donc expliquer un certain nombre de choses. J’y fais de plus en plus attention. Je me retrouve à devoir expliquer des problèmes extrêmement compliqués. Une fois ou deux, je n’y suis pas arrivé totalement : le début du Temps du cinéma thaïlandais [2006] est confus. Un livre, le lecteur a la possibilité de le relire, d’aller chercher plus loin. De plus, avec les films sur le cinéma asiatique, se pose le problème de la langue. En général, je choisis des extraits non dialogués car il faut que le spectateur comprenne l’extrait en soi et pourquoi il est placé là, à ce moment-là.

 

Vous utilisez d’ailleurs souvent des photographies de films plutôt que des extraits. Est-ce pour une question de rythme ou d’accès aux films ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord, j’aime les photos. La question du rythme compte bien sûr. Et puis, il y a le problème majeur de l’accès aux films. Pour le cinéma philippin, je me suis aperçu que je parlais à des cinéastes qui n’avaient pas vu les films de leur propre cinématographie nationale – moi j’avais pu les voir grâce à Lino Brocka. Parfois, il reste une copie à Paris ; mais il n’y avait aucun esprit de conservation du patrimoine aux Philippines. Aujourd’hui, une chaine de télévision sauvegarde des films pour les passer à l’antenne – ils ont actuellement trois mille films – mais dans de nombreux cas, il ne reste que des photos. Par exemple, Eddie Romero, cinéaste de film d’action adoré par Quentin Tarantino, a commencé à faire des films en 1947, mais aucun de ses films n’a survécu avant 1957 ; il y a dix ou douze films perdus.

 

Le problème se pose-t-il aussi pour les autres pays d’Asie ?

En Inde, ils commencent à avoir l’esprit de patrimoine ; il existe une Cinémathèque nationale. A Manille, il n’y a pas de cinémathèque. J’ai restauré un film du Sri Lanka, qui, suite à cela, a été montré à Cannes il y a deux ans 5. Mais dans ces pays, les copies sont conservées sous 40° dans des sous-sols et transpirent d’humidité.

 

Est-ce que vos documentaires peuvent aider à la restauration de ces films ?

Quand j’ai appris qu’une copie d’un film très rare avait été retrouvée à Bruxelles, j’ai accouru. Je les ai encouragés à la préserver et leur ai demandé un master vidéo car je veux un extrait. J’espère surtout que mon documentaire projeté à Manille leur fera prendre conscience de la nécessité de sauver les films, même si un siècle après c’est un peu tard. Il faut voir les films philippins qui sortent en DVD : les copies sont faites d’après de très mauvaises VHS. C’est tout ce qui reste.

 

Vos films sont-ils difficiles à produire ?

Très. Travailler avec une chaine câblée, cela veut dire qu’on a comme à-valoir le minimum imposé par le CNC qui est devenu un maximum : 6500 €. C’est dramatique. Avec ça, on a droit au COSIP et d’autres petits financements. J’ai toujours de très petits budgets que j’essaie de compléter avec des aides locales, parfois les Ambassades de France, l’Office du tourisme. En tournant aux Philippines, pour la première fois j’ai eu une aide plus conséquente, grâce à la Commission des Arts et de la Culture et le Film Institut. J’ai fait une vraie coproduction avec un producteur philippin que je connaissais très bien : il a dit qu’il n’y avait jamais eu un film sur le cinéma philippin et qu’il fallait absolument m’aider. Tous mes films sont réalisés avec un budget modeste ; je fais beaucoup de choses moi-même.

 

Et être son propre producteur ?

Quand je réalise, je pense production, comment faire des économies. Peut-être devrais-je être plus sévère avec moi-même en tant que réalisateur et moins laisser faire le producteur. Aux Philippines, j’ai gagné un jour de tournage : le producteur était très content, mais peut-être que le réalisateur n’aurait pas dû accepter ! En tout cas, j’aimerais bien faire un film avec plus de confort ; peut-être vais-je y réussir avec un documentaire sur la musique cubaine avec France Télévision. J’aimerais ensuite revenir au cinéma asiatique, avec le Japon en particulier. Jusqu’à présent, c’était très difficile pour moi de trouver l’axe en sachant que les cinéastes que j’aime sont morts, que je trouve la production actuelle pas très intéressante, même si j’adore Kitano. Une autre raison m’a fait pour l’instant reculer : les extraits des documents, comme la vie sur place, tout est très cher. Et les guichets pour faire de tels films sont de moins en moins nombreux. Je reste fidèle à Ciné Cinéma, Ciné Cinéma m’est fidèle, mais c’est plutôt dans la pauvreté.

Propos recueillis par Martin Drouot, mars 2010.

 

1 Julien Duvivier, 50 ans de cinéma, Bazaar & Co, 2010.

2 Memoirs from the Beijing Film Academy : The Genesis of China's Fifth Generation, Duke University Press, 2002.

3 Cf. catalogue Images de la culture : 26 films dans la collection Il était une fois… conçue par Serge July et Marie Genin.

4 Hollywood, Les Pionniers, Calmann-Lévy, 1981.

5 Changement au village, de Lester James Peries (1965), restauré et présenté au festival de Cannes en 2008.