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Belle-Famille

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Sélectionné dans de nombreux festivals, primé à Belfort et à Belo Horizonte au Brésil, Kurdish Lover nous plonge dans l’intimité d’une famille kurde, dans un village au pied des montagnes. En compagnie d’Oktay Sengul, le kurdish lover qui lui a ouvert les portes de cet univers, Clarisse Hahn observe les coutumes et les mœurs, les relations passionnées qui animent cette petite communauté. Entretien croisé avec Clarisse Hahn et Oktay Sengul.

Le titre Kurdish Lover laisserait attendre un portrait ou une histoire d’amour, pourtant votre compagnon, Oktay Sengul, reste en marge du film.

Clarisse Hahn : C’est vrai que le titre peut sembler déroutant. C’est un titre léger, un peu comme celui d’une chanson – quelque part entre latin lover et turkish delight. Le kurdish lover, c’est avant tout un passeur. Notre relation apparaît en filigrane, ce n’est pas le sujet principal du film. Le sujet, ce sont les gens qui entourent Oktay, sa famille, les habitants du village. Mais il est souvent question d’amour ou de mariage.

 

Dans le film, ce sont les femmes qui occupent le premier plan. Comment ont-elles pris une telle importance ? Pourquoi les hommes sont-ils en retrait ?

C.H. : Au Kurdistan, il était plus facile pour moi de filmer des femmes. C’est vrai qu’il n’y a dans le film que des mères et des fils. Il n’y a pas d’hommes dominants. Face à la caméra, les hommes se croyaient obligés de tenir une fonction sociale, de donner des ordres, de me diriger. De manière générale, les femmes s’expriment plus que les hommes. Filmer à l’intérieur du foyer où les femmes sont fortes, était beaucoup plus simple. Cela m’a rappelé Karima [Karima, 2003, 98’] pour qui le rôle de dominatrice était une prolongation de la figure de la mère dans la société maghrébine. Cela a aussi permit à Oktay de passer du temps avec les femmes.

 

Ce qui est inhabituel ?

C.H. : Oktay est amené à fréquenter les hommes, mais il refuse l’image machiste que lui impose cette société. Comme il ne joue pas ce rôle-là, les femmes le considèrent comme un enfant.

 

Les hommes, du fait de l’exil, ont l’air d’être tournés vers le mode de vie occidental tandis que les femmes semblent appartenir à un monde rural et traditionnel. Les hommes ont l’air partagés entre le fantasme de cet ailleurs, notamment de la femme européenne, et le désir de se marier avec une fille du village.

C.H. : Dans les années 1970 de nombreux Kurdes sont partis travailler en Europe. La grand-mère d’Oktay a dix enfants, qui sont tous partis vivre à l’étranger, qui lui envoient de l’argent et qui reviennent chaque été au village. Si ceux qui vivent au Kurdistan rêvent de partir à l’étranger pour fuir la misère et la guerre, ceux qui travaillent en Europe veulent se marier avec quelqu’un du village pour garder le lien avec leurs origines. Cela est encore accentué par la négation de la culture kurde. La langue, les chants, les costumes traditionnels kurdes étaient encore interdits il y a peu de temps, se marier au village c’est préserver cette culture et avec elle une structure communautaire rassurante.

 

Est-ce que l’exil modifie les rapports traditionnels entre les hommes et les femmes ?

C.H. : Oui, c’est probable, Oktay pourrait répondre à ça. Mais Kurdish Lover ne traite pas de la victimisation de la femme par le pouvoir patriarcal. Le film s’intéresse plutôt aux rapports d’emprise des individus les uns sur les autres au sein d’une communauté, comme ceux de la grand-mère avec sa bru – situation qui s’est depuis inversée. Ce sont des rapports de force qui existent dans toutes les familles. Le sujet de Kurdish Lover c’est la difficulté à sortir du milieu dont on est issu, à échapper aux contraintes que nous impose notre communauté. Certains systèmes nous sont à la fois nécessaires et nous enferment dans un cercle vicieux ; même s’ils nous mettent régulièrement en état de crise, nous restons dans le cercle parce qu’ils nous constituent en tant qu’individu. Ce que je veux filmer c’est cet aller-retour entre le désir de l’individu et la situation dans laquelle il vit réellement. Mes films se situent dans des espaces de grande tension. Que ce soit le service gériatrique d’Hôpital [1999, 37’], le milieu du porno dans Ovidie [2000, 103’], ou encore la famille bourgeoise des Protestants [2005, 85’] dont les codes hérités du XIXe sont sur le déclin.

 

Vous avez réalisé trois films sur le Kurdistan : Kurdish Lover, Gerilla et Prisons. La question politique n’apparaît qu’en marge de Kurdish Lover, comment est-elle traitée dans les deux autres films ?

C.H. : Gerilla et Prisons, liés à la Turquie et à la question kurde, avec Los Desnudos, tourné au Mexique, sont une série de trois films intitulée Notre corps est une arme [2012] sur les gens qui utilisent leur corps comme moyen de résistance.

Dans Gerilla, j’ai utilisé des images filmées par le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan), qui a tout un service de propagande qui diffuse ses images sur Internet. Je les ai montées avec des images de la communauté kurde que j’ai filmées à Paris. Les vidéos de la guérilla kurde diffusées par le PKK sont à la limite du kitsch, elles sont très fabriquées, avec de la musique, des combattantes qui chantent assises dans la montagne, pour donner envie aux jeunes de s’engager. Mais Oktay et moi avons trouvé des images plus brutes, sans effets spéciaux. À partir de différentes sources, j’ai reconstitué une opération militaire, de l’entraînement des guerriers en Irak jusqu’à la prise d’une caserne turque.

Dans Prisons, j’ai interviewé deux jeunes femmes kurdes qui ont participé à une grève de la faim en 2000 dans les prisons en Turquie. L’Etat voulait mettre les prisonniers politiques en isolement carcéral, ce qui est une torture blanche qui rend les gens fou. La grève devait alerter l’opinion publique. L’armée est intervenue et a tiré sur les prisonniers, les a brûlés vifs. La télévision turque a prétendu que les militants s’immolaient par le feu, que leur parti les poussaient à se suicider, que l’armée était intervenue pour les sauver. J’ai retiré le commentaire de ces images et je n’ai laissé que les cris des prisonniers qui insultent les militaires. Le sens de la situation devient alors assez clair.

 

Quelle place tient la question politique dans votre travail ?

C.H. : Ce qui m’intéresse c’est la problématique du vivre ensemble. Je ne suis pas une cinéaste militante, je filme des militants. En Europe, on parle de la fin des idéologies, mais il y a dans le monde des gens qui continuent à lutter, et qui luttent avec leur corps – dans Prisons, ces deux femmes se sont détruites physiquement et mentalement par la grève de la faim. Quand on se déplace dans des pays où les gens sont dans des situations difficiles, des pays en guerre, le politique devient plus visible…

 

Qu’avez-vous filmé au Mexique ?

C.H. : Los Desnudos, ce sont des paysans mexicains dont les terres ont été spoliées par l’État et qui luttaient depuis vingt ans sans qu’on les remarque. Il est très courant que les Indiens soient expropriés et qu’ils deviennent mendiants ou vendeurs ambulants dans les grandes villes. Eux ont voulu rester en communauté. Ils ont fait la grève de la faim, envoyé des lettres au gouvernement, sans réponse. Puis ils ont eu l’idée de squatter un parking et de défiler nus deux fois par jour dans la rue. Il s’agit de corps de paysans, d’hommes et de femmes de cinquante ans, pas de jeunes étudiants des Beaux-Arts qui font un happening. Alors qu’ils avaient été spoliés de 10 000 ha, ils ont obtenu de quoi racheter 300 ha de terre dans l’Etat de Veracruz.

 

Votre série Boyzone [photographies et vidéos, débutée en 1998] est également liée au Mexique…

C.H. : C’est une série que j’ai commencée il y a plusieurs années en Picardie, en collectant des portraits de jeunes délinquants dans la presse locale. Ces images m’intéressaient parce qu’elles trahissaient une certaine fascination pour les méfaits commis par les adolescents, un mélange de peur et de fantasme, comme avec les jeunes des cités. Après j’ai collecté des journaux thaïlandais et mexicains. La représentation des délinquants y est encore plus archétypale. Au Mexique, on voit des jeunes gens les mains attachées derrière le dos, le visage tuméfié, torse nu. Parfois un policier leur redresse la tête pour les obliger à regarder l’objectif. Les délinquants essaient de rester dignes parce qu’ils savent qu’ils seront dans le journal. Ces jeunes vivent dans un milieu d’une extrême violence, ils sont instrumentalisés par les cartels de drogue, ils sont victimes d’un système de ségrégation et d’oppression. Quand ils regardent l’objectif, ils sont dans un rapport de lutte avec le photographe, qui est du côté de la police. En enlevant le commentaire, en retouchant la photographie et en l’agrandissant, je leur rends leur image, je les rends victorieux.

Dans Prisons, une femme que l’on remet en cellule crie au militaire qui est derrière la caméra : “Filme bâtard, montre ça au peuple, si tu filmes pas je t’explose la cervelle.” Elle ne veut pas être la victime de l’image, elle veut reprendre le pouvoir. Los Desnudos, ce sont des Indiens qui défilent nus. Il y a tout un imaginaire ethnographique autour de ça, mais eux renversent le voyeurisme de l’homme blanc.

 

[Oktay Sengul nous a rejoints à ce moment de l’entretien]. J’ai demandé à Clarisse pourquoi les femmes étaient si présentes dans Kurdish Lover, et quelle était la place des hommes et des femmes dans le village de votre grand-mère.

Oktay Sengul : Ma famille est un cas particulier parce que ma grand-mère et ma tante, qui vit avec elle, n’ont plus leurs maris. Tous les hommes qui étaient à la maison sont partis. Au Kurdistan et en Orient en général, les femmes se chargent de la sphère privée, de la maison, c’est pour cela aussi qu’elles s’occupent du bétail, du lait, et des relations entre voisins – la sphère familiale s’étend au delà de la maison, à l’échelle du village. Par rapport à ce que l’on connaît en France, c’est très élargi. Cela vient de la vie dans les montagnes où tout le monde s’occupait du troupeau, où les gens avaient besoin d’être solidaires pour survivre. Comme les hommes s’occupent de la sphère publique, on les voit moins : ils vont vendre la laine, le lait, les bêtes. Même si ma tante va parfois vendre du fromage, c’est une des rares femmes de ce village-là à le faire. Mais les hommes sont moins présents aussi parce qu’ils ont du mal à se laisser filmer par une femme.

 

 

 

On sent une tension entre un milieu rural, qui a l’air de vouloir conserver ses traditions, et l’ailleurs que représente le monde occidental. Tension qui semble se cristalliser autour de la question du mariage : faut-il épouser une Européenne ou une fille du village ?

O.S. : Quand je vais chez mes parents, ici en France, dès que je passe le portail, je suis au Kurdistan. Ils tiennent à préserver leurs valeurs. Ils observent ce qui se passe autour, mais ils préfèrent rester entre eux, avec leurs amis kurdes en qui ils ont confiance. Même s’ils se font avoir par des Kurdes, c’est toujours mieux que par des étrangers. C’est un enfermement dont il est très difficile de se détacher – la famille et la société font pression pour que tu restes au sein de la communauté. Bien sûr, il commence à y avoir des couples mixtes, mais cela pose des problèmes de conscience aux vieux. Même s’ils acceptent la personne dans la famille, s’ils s’occupent des enfants, il y a une notion de péché. Des mariages entre cousins en Europe ou des gens qui retournent se marier au village, dans ma génération, il y en a encore beaucoup.

 

Il y a une séquence où des fils demandent à leur mère de vendre ses bêtes. Désirent-ils que leur mère adopte un autre mode de vie, plus proche du leur à l’étranger ?

O.S. : À l’origine, c’est un peuple semi-nomade. Certaines familles passent l’hiver au village, mais retournent dans la montagne en été, avec leurs bêtes. Il y a les quartiers d’hiver et les quartiers d’été. Mes parents ont connu ça avant de s’installer en Europe. Ma grand-mère a vécu comme ça, avec une yourte dans les pâturages d’été. Ils restaient quatre ou cinq mois, ça finissait par une grande fête, puis ils redescendaient. Mais ce monde là est en train de disparaître. Le village, c’est déjà la fin du monde paysan, qui commence en fait au-dessus, dans la montagne. C’est ce que disent les fils à la mère : maintenant c’est fini, tu dois te sédentariser, débarrasse-toi de ton troupeau, nous sommes là pour subvenir à tes besoins. Mais elle a du mal à l’accepter.

 

La part la plus insolite du film concerne les rituels religieux, ces rituels liés à la terre, à l’invocation des saints. De quelle forme d’islam s’agit-il ?

O.S. : En Turquie, on appelle cela l’alévisme. C’est considéré comme une branche du chiisme, donc de l’islam, avec une vénération pour l’imam Ali comme chez les Iraniens. Mais selon moi, c’est juste un vernis d’islam sur des croyances animistes ancestrales, tournées vers la vénération des éléments, l’eau, la terre, et qui ont incorporé par la suite des apparitions de saints. Il y a souvent des mausolées dans les lieux saints, mais quand on pose des questions, on ne sait pas très bien à qui ils sont… C’est juste pour être moins embêtés par les sunnites qui considèrent que ces gens ne sont pas liés à l’islam… Expliquer d’où viennent tous ces rites, ce serait long et compliqué. Pour ce qui est d’invoquer les saints ou de se rendre sur les lieux saints, cela fait partie de la vie quotidienne.

 

Il y aussi une scène de transe où un homme tourne sur lui-même tandis qu’un autre se brûle la langue avec un buche ardente.

O.S. : Il y a une hiérarchie dans cette société et ceux qui sont au sommet ce sont les hommes pieux. Ce sont eux qui ont les pouvoirs religieux, les pouvoirs magiques, qui sont transmis par les liens du sang. Dans cette séquence, on assiste à une lutte entre quelqu’un qui prétend avoir un pouvoir religieux et un autre qui le possède par sa naissance. Comme Clarisse était en train de filmer, le second s’est mis à tourner sur lui-même et à entrer en transe. Les gens vont là-bas régulièrement prier, sacrifier, demander des conseils aux guides ; il y en a qui en profite pour se faire de l’argent. Un guide qui a vu que Clarisse filmait un usurpateur s’est mis lui-même en scène pour montrer qu’il avait de véritables pouvoirs surnaturels. A le voir lécher les braises, j’ai cru qu’il allait s’évanouir, mais il a tenu bon, ce qui en rajoute au mythe de ces hommes-là.

 

Le personnage du guide spirituel qui rend visite à votre tante semble soupçonné de profiter de sa fonction pour être parmi les femmes et récolter de l’argent.

O.S. : C’est difficile de répondre. Ce sont des femmes qui vivent seules, elles ont besoin de lui. Il vient les soutenir spirituellement et psychologiquement, leur donner des conseils. Peut-être en profite-t-il lui aussi pour fuir sa propre réalité, ne pas rentrer chez lui.

C.H. : C’est aussi le rapport à l’argent qui s’illustre dans ces scènes, le rapport de don et de contre-don. L’argent doit circuler. On est sans cesse en train de donner de l’argent aux autres et de réclamer l’argent que l’on a donné, ou le retour sur un service que l’on a rendu.

O.S. : Dans l’évolution de la société, le don et le contre-don se sont transformés. Autrefois, on échangeait des biens matériels, mais aujourd’hui c’est de l’argent, qui est plus difficile à trouver qu’un quartier de viande ou un verre de lait.

 

J’ai été surpris de voir que les rituels se pratiquent avec des matériaux pauvres : vêtements, cuillères, photos d’identité laissés dans une grotte, sacs plastique et papier journal pour emballer les pierres.

O.S. : Dans la religion de mes grands-parents, tout est très démonstratif : les prières, les sacrifices, laisser sa photo, un vêtement ou un bout de laine, de ficelle ; ce n’est pas grave si on n’a pas beaucoup, cela participe d’un mouvement ostentatoire, ce n’est pas lié à la richesse.

C.H. : Les pierres sacrées chez ta grand-mère sont dans de vieux sacs plastique car ce sont des rituels qui se font dans le privé ; ce n’est pas comme à l’église où le rituel est public et où les objets sont là pour la représentation. Là, les pierres, c’est quelque chose de secret qu’il faut mettre en hauteur et cacher, tu les fais voir aux gens de ta famille, mais toujours de manière secrète. C’est un rituel intime, on n’attend pas que le guide soit là pour l’accomplir. D’où le matériau pauvre, ce sont des rituels que l’on peut faire au quotidien.

O.S. : Les Kurdes ont tout le temps été persécutés, ils n’ont jamais eu l’occasion de représenter quoi que ce soit ou d’édifier ne serait-ce qu’un temple. Maintenant ça commence à se moderniser, ils ne font plus des bâtiments en pisé mais en brique ; on commence à construire des structures en béton pour les lieux saints.

C.H. : Ils ont été nomades, ces pierres ce sont des morceaux de lieux saints qu’on emmène avec soi.

 

Toujours dans le registre minéral, il y a une séquence où un homme prend un bain de sable. Les Kurdes ont-ils un goût particulier pour la terre ?

O.S. : La terre est considérée comme bénéfique pour beaucoup de choses, que ce soit de l’ordre du sacré ou du profane, et notamment pour le corps. On voit souvent des gens qui s’enterrent jusqu’au cou. Ils ont toujours fait ça, surtout avec le sable des rivières. Ça fait transpirer, ça chasse tous les maux.

 

Pour vous Clarisse ne pas élucider toutes les situations, c’était important ? Avez-vous cherché à préserver une certaine étrangeté ?

C.H. : Oui, il y a un côté burlesque dans certaines pratiques. Mais j’ai aussi cherché à les rapprocher de nous. Quand on entend les femmes proférer des insultes et des grossièretés, cela casse le stéréotype de la femme voilée que l’on peut avoir en Occident.

 

Karima et Les Protestants comportaient beaucoup d’entretiens à travers lesquels vous marquiez votre présence dans le film. Par rapport à la question de la langue, comment s’est passé le tournage et comment avez-vous construit Kurdish Lover ?

C.H. : J’ai dû exercer mon sens de l’observation. Parfois Oktay me donnait des indications. On a fait toute la traduction à notre retour, j’ai donc découvert certaines choses a posteriori. Mais au bout d’un moment j’arrivais à comprendre les situations. Ce qui m’intéresse ce sont les attitudes, les gestes, les rapports à l’environnement, la manière dont les gens se positionnent les uns par rapport aux autres. Le fait de ne pas comprendre la langue, je crois aussi que cela m’a protégée, parce qu’ils sont toujours en train de se quereller, de dire des choses sur les uns ou les autres. Si j’avais parlé la langue, j’aurais été complètement impliquée dans leurs histoires. Cela m’a permis de garder une distance, ce qui est très difficile dans cette famille où il y a très peu d’intimité.

 

Venir avec une femme étrangère qu’est-ce que cela représentait pour vous, Oktay ?

O.S. : Par rapport à ma grand-mère je savais que ça allait bien se passer ; par rapport aux autres, je ne savais pas si ça serait évident. J’ai amené Clarisse dans un milieu où il y a une idée de la femme qui ne correspond pas du tout à ce qu’elle vit ici. J’ai essayé de faire en sorte que cela se passe bien, qu’elle soit acceptée comme elle est. Le guide – qui est la personne qui indique l’attitude à adopter – a dit que même si c’était une fille de Jésus, elle avait sa place dans notre communauté. Après, il y a des règles et des codes, des tâches dont la femme doit se charger. J’ai dû expliquer à mes cousins qu’ils pouvaient faire certaines choses eux-mêmes, ce qui a été l’occasion de leur donner mon point de vue sur la position de la femme et celle de l’homme. Ce qui était plus compliqué pour moi, c’est que mes oncles et mon père refusent de se laisser filmer. J’aurais aimé qu’ils participent. C’était assez tendu quand ils étaient là, ce sont des patriarches, des chefs de famille. Mais je pense que Clarisse a une aisance par rapport à ce genre de situation, parce que, comme on le voit dans Les Protestants, elle vient d’une famille nombreuse.

 

Propos recueillis par Sylvain Maestraggi, juillet 2012.