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Finding Phong – Entretien avec Swann Dubus

Finding Phong – Entretien avec Swann Dubus
Finding Phong suit la transition de Phong, une jeune vietnamienne qui se sent enfermée dans un corps de garçon. Après Avec ou sans moi (2011), c’est le deuxième film que Swann Dubus coréalise avec Tran Phuong Thao. Réalisateur, caméraman et monteur depuis 2000, il a travaillé en Europe, en Afrique et en Asie, et réalisé 1970-1989 (2000), Lettre à L et à elles toutes (2002) ou encore L. Ville (2006). En 2007, il s’est installé à Hanoi et collabore depuis avec la réalisatrice vietnamienne.

Vous avez terminé Finding Phong en 2015, que s’est-il passé depuis ?

Le film a tourné dans environ 35 festivals, dont de nombreux LGBT. Nous avons même eu le Grand Prix au Festival Jean Rouch à Paris en 2015. Il devait y avoir une sortie au Vietnam, mais heureusement ça ne s’est pas fait. Lorsque qu’un film sort au Vietnam, il se retrouve très rapidement sur internet. On a eu la chance que le nôtre vive longtemps en festival sans qu’il ne fuite. Ce sont nos producteurs qui se sont occupés de la sortie en salle (février 2018), alors que nous étions déjà en train de travailler sur notre prochain long métrage. Grace à JHR Films, une petite boite de distribution qui s’est beaucoup battue pour Finding Phong, nous avons réussi à avoir une dizaine de salles pour cette sortie française.

 

À cette occasion, vous avez participé à plusieurs avant-premières, quelles ont été les réactions du public ?

Elles sont toujours positives. À la fois par rapport au sujet, mais aussi vis-à-vis du personnage de Phong. Les spectateurs sont très étonnés de l’image que le film renvoie du Vietnam. Ils ont souvent l’image d’un pays fermé et sclérosé. Mais ils se rendent compte que c’est une société très vivante où tout le monde s’exprime librement. Les opinions favorables à la transidentité se développent très rapidement. Il y a cinq ans à peine, les personnes transgenres étaient très stigmatisées au Vietnam. Dans le sud, certaines d’entre elles tiennent des fêtes foraines où elles se donnent en spectacle 1. Ça fait partie de la culture populaire mais elles sont très marginalisées. Maintenant, on ne les associe plus à la prostitution, aux drogues ou au sexe.

 

Comment avez-vous rencontré Phong ?

Gérald Herman, le producteur du film, connaissait Phong depuis deux ans. Ils étaient très proches, et Gérald était fasciné par sa personnalité. Elle vivait dans une petite ville et pensait être la seule au monde à être telle qu’elle est. Gérald nous a contactés en nous proposant de faire un film. Nous avons rencontré Phong un mois avant le début du tournage. Au départ, nous n’étions pas vraiment emballés. Beaucoup de documentaires avaient déjà été réalisés sur le sujet, nous avions le sentiment de ne rien avoir à dire de plus. Le producteur nous a dit : “Vous allez pouvoir parler de genre dans un sens plus large, de la famille et de la société vietnamienne.” Mais nous étions gênés d’avoir en face de nous quelqu’un d’aussi mal dans sa peau. Si nous voulions nous embarquer dans cette aventure, il fallait vraiment accompagner Phong, l’accompagner dans sa transition, et c’était une sacrée mission.

 

Comment est venue l’idée de confier une caméra à Phong ?

Son journal vidéo constitue toute la première partie du film. Elle ne voulait pas qu’on la suive avec notre matériel qui attirait tous les regards. Nous avons donc pensé à lui donner cette petite caméra. C’était une façon de commencer aussitôt le tournage, mais aussi de faire connaissance. Par le biais de cette caméra, Phong pouvait dire ce qu’elle avait sur le cœur ; c’était aussi une façon de se protéger. Toutes les semaines, elle nous montrait ce qu’elle avait tourné. Nous avons appris à la connaitre de cette façon. Je pense que ça lui faisait beaucoup de bien.

 

À quel moment avez-vous repris en main la caméra ?

Tout s’est inversé à partir du moment où Phong s’est rendue à Bangkok et où elle a rencontré les médecins. Elle est entrée dans une phase active de la transition et tout ce qu’elle avait entrepris est devenu concret. Elle en était très heureuse et voulait vivre ça à fond, sans se soucier de la caméra qui devenait une charge au quotidien. Elle avait envie de vivre sa vie sans concession. C’est à ce moment-là que la nature du film bascule et que Thao et moi reprenons la caméra. Il y a un léger changement esthétique mais qui n’est pas total étant donné qu’on garde en partie le même matériel.

 

Comment se répartit le travail dans votre duo à la réalisation avec Thao ?

Ça fait maintenant dix ans qu’on travaille ensemble. On fait tout ensemble, on a même fait un enfant ! La répartition des rôles est claire et naturelle entre nous. En principe, au niveau technique je cadre et Thao fait le son. Notre duo amène beaucoup de possibilités différentes. Il y a plein de choses que Thao peut faire avec les filles : rester dans leur chambre, être au lit avec elles, parler de sexualité plus librement. Paradoxalement, le fait que je sois étranger pousse aussi les gens à parler plus. Il y a peut-être des choses qui sembleraient évidentes pour des Vietnamiens, mais qu’ils reformulent par peur que je ne comprenne pas. Thao est plus dans le contact et proche des gens. Moi j’ai souvent plus de recul. On ne se marche jamais sur les pieds parce qu’on se connait bien maintenant.

 

Combien de temps a duré le tournage ?

A l’écran, on voit deux ans de la vie de Phong. En réalité, nous avons tourné pendant trois ans. Le film s’arrête avec son opération, mais nous avons continué le tournage pendant une dizaine de mois. Nous n’avons pas intégré cette partie au film car ça ne menait pas à grand-chose. Après l’opération, il y a eu une période de flottement où Phong ne trouvait pas l’équilibre. Elle était en train de s’adapter à son nouveau corps et d’entamer une relation avec quelqu’un. Cela a pris du temps, mais Phong est désormais une femme apaisée.

 

Oui, parlez-nous de Phong depuis le film.

Elle travaille toujours à mi-temps au théâtre de marionnettes. Elle est dans une relation depuis trois ans, c’est très passionnel. Mais au Vietnam, pour qu’une relation dure, il faut avoir des enfants. Donc la famille de son compagnon coince un peu. Elle a eu l’occasion de beaucoup voyager avec le film et je pense que ça lui a fait du bien. Elle est venue trois fois en France, et a aussi été en Grèce, en Norvège, aux Etats-Unis. Ce qu’elle préfère, c’est aller dans les festivals LGBT, rencontrer d’autres personnes transgenres et échanger sur leurs expériences. Le film attire beaucoup de bienveillance et lui a ouvert des opportunités. Elle a tourné dans des téléfilms, des pubs, fait des shooting de mode. C’était son rêve, mais elle voudrait maintenant penser à des projets à long terme en restant dans son pays.

 

Où en est la situation des personnes transgenres au Vietnam ?

Ça évolue vraiment très positivement. Je pense que globalement les Vietnamiens ne savaient pas qui étaient les personnes transgenres. Quelques stars dans la communauté permettent de changer les mentalités. Dans le film, Phong chante une chanson de Cát Tûyen, une artiste transsexuelle. Celle qui apprend le maquillage à Phong est également devenue chanteuse. Il y a des personnes positives, que les gens aiment et qui apportent un regard différent sur les personnes transgenres. Une loi votée en 2015 permet à présent de changer de sexe sur les papiers d’identité, de choisir un nom adapté. Malheureusement, les personnes doivent été opérées pour avoir accès à ces droits.

 

Quels liens Finding Phong entretient-il avec les Ateliers Varan ?

Les Ateliers Varan encadrent des stages depuis presque quinze ans au Vietnam. Thao était du début de l'aventure et y a réalisé son premier film, Rêve d'ouvrière. Au fil du temps, un groupe d’anciens stagiaires a créé une société de production, Varan Vietnam, qui produit les films de ses membres. Cela fonctionne comme une coopérative où chacun apporte ses films, ses idées, et son soutien aux projets des autres. Je suis venu pour la première fois au Vietnam en 2006 et les premières personnes que j'ai rencontrées étaient issues de cette "nouvelle vague" de documentaristes vietnamiens. Depuis, on est toujours très proches, tant affectivement que professionnellement. Varan Vietnam n'a pas directement produit Finding Phong puisque c’était la société de Gérald Herman qui était à l'origine du projet.

 

Sur quoi travaillez-vous depuis Finding Phong ?

Notre prochain film n’a rien à voir ! Il y a plein d’autres sujets que nous voudrions aborder et nous sommes déjà sur le montage de notre prochain film. Il parle de la destruction d’un quartier historique de Hanoi pour construire un périphérique. Il adopte le point de vue des ouvriers, qui viennent de la campagne. Nous avons commencé le tournage il y a trois ans, alors que nous terminions Finding Phong.

 

Propos recueillis par Romain Hecquet, mai 2018.

 

1 Voir le film Le Dernier Voyage de Madame Phung, 2014, de Thi Tham Nguyen (catalogue Images de la culture).