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J’ai grandi dans cette cité

J’ai grandi dans cette cité
Quand une cité part à la casse, ses habitants ont des bleus à l’âme. Zouhair Chebbale, 35 ans, s’est mis à l’écoute de ses copains, ses voisins, ses compagnons de galère. Dans Bourtzwiller 420 – Détruire, disent-ils, il tient la chronique mélancolique de la dernière année de sa cité. Entretien.

Bourtzwiller 420 est-il un film personnel ou avez-vous cherché à exprimer le point de vue collectif des habitants ?

Dès le départ, j'ai voulu que ce soit les deux, un film personnel mais aussi une parole donnée aux habitants. J'ai grandi dans ce quartier de Bourtzwiller et mon histoire s'imbrique dans celle des habitants. Ma mère vit encore là-bas, j'y retourne une à deux fois par semaine. Donc mon histoire est celle des habitants. Ils ont pour la plupart la même position que moi : cette destruction a été mal gérée.

 

N’y a-t-il pas un côté passéiste dans le refus de voir disparaître une cité HLM très dégradée ?

Le problème n'est pas que la cité en tant que murs disparaisse. Mais la non prise en compte du lien que les habitants ont construit entre eux tout au long des années crée un sentiment d'humiliation. La plupart des familles ont vécu un premier déracinement il y a trente ans. Aujourd'hui, sans leur demander leur avis, en les mettant devant le fait accompli, on les disperse à travers la ville, sans leur laisser le choix de rester ensemble. Certaines personnes âgées n'avaient plus que leurs voisins comme famille. Il n'est pas certain qu'elles puissent reconstruire une vie sociale ailleurs. Détruisons les bâtiments et donnons les nouveaux appartements qu'on va construire aux habitants actuels. Le problème est que ces nouveaux logements ne sont pas pour eux, les anciens locataires sont déplacés ailleurs, dans d'autres cités tout aussi délabrées que la leur. Ils perdent tout, un logement certes vétuste mais auquel ils étaient habitués, et des voisins qu'ils aimaient.

 

Comment s’est déroulé le tournage ? Sur quelle durée ?

Le but était d'être au plus près des habitants et de leur quotidien. C'est pourquoi le dispositif était très léger : un cadreur qui faisait l'image et le son. Je faisais également partie des personnages donc j'attendais du cadreur qu'il ait également un regard cinématographique, qu’il soit capable de prendre des initiatives. Le tournage s'est déroulé pendant un an. Il y avait les séquences incontournables pour moi : les réunions Ville-habitants, les inaugurations, les initiatives et manifestations des locataires, les déménagements de mes personnages... et puis les séquences construites telles que les interviews.

 

La municipalité de Mulhouse a soutenu le projet du film. Comment a-t-elle réagi au film terminé ?

La municipalité a effectivement soutenu le film mais à aucun moment elle n'est intervenue pour interdire. J'entretiens avec la municipalité des relations de confiance car j'ai toujours été un acteur associatif de la Ville. Les politiques me connaissent. La Ville souhaitait un film dans lequel les habitants puissent s'exprimer. Après le film, l'adjoint au logement m'a dit qu'il était très content que les habitants aient pu parler et s’expliquer. Cela leur a permis de voir les erreurs qu'ils avaient pu commettre. À l'avenir, il pensait pouvoir se servir du film comme document de discussions avec des habitants touchés par de futures réhabilitations. On peut aussi penser que la Ville souhaitait offrir un genre d'exutoire, de défouloir aux habitants après les frustrations qui se sont dégagées lors de cette destruction. Les élus ont-ils cherché ainsi à se racheter ?

 

 

Vous préparez actuellement une nouvelle version de ce film, avec un montage différent. Pourquoi ?

Le temps télévisuel n'est pas celui du cinéma. Même si le film existe dans cette version de cinquante-deux minutes, ce format ne permet pas toujours de tirer le meilleur parti des rushes, des séquences qu'on a pu tourner. La télévision nous pousse aussi à une autocensure, selon la sensibilité que l'on semble déceler chez le diffuseur. Le montage s'est fait sous la supervision d'un directeur des programmes de France 3 Alsace sans véritable regard documentaire. Pour ce journaliste, il fallait que ce soit vivant, sans temps morts, avec un droit de réponse des officiels, des différentes parties, et une voix off pour bien marteler le propos. Aujourd'hui, l'équipe dirigeante a changé et laisse plus de liberté aux réalisateurs pour faire vivre leurs films comme ils le souhaitent. Je pense que j'aurais monté le film autrement si l'équipe actuelle avait été aux manettes à l'époque ; j'aurais sûrement fait un film qui me correspond plus. En tant que réalisateur, on est souvent à la merci des changements de directions et des “lignes éditoriales" des canaux de diffusion.

 

Les autres films dans lesquels vous êtes engagé sont-ils eux aussi liés à la thématique des cités et des immigrés ?

Tous mes films tournent autour de la thématique des quartiers, des immigrés, des liens qu'ils entretiennent avec leur pays d'origine, de la place qu'occupent aujourd'hui leurs enfants. Actuellement je réalise un cinquante-deux minutes pour France 3 Alsace qui parle du hip hop et de la difficulté à réussir sa vie d'artiste lorsqu'on vient d'un quartier difficile et de surcroît de province. Je travaille également sur un film en développement qui traite de la condition des femmes au Maroc à travers le problème des filles-mères. Les deux films sont des projets que je développe avec Bix Films, ce sont des producteurs avec qui je travaille depuis maintenant quelques années. Je pense que ça aussi c'est important : rester fidèle aux mêmes personnes permet de se construire en tant que réalisateur un peu plus après chaque film.

 

Propos recueillis par Éva Ségal, février 2009.