Retour

Le sobre bonheur de la vie en pavillon

Le sobre bonheur de la vie en pavillon
Plasticien, photographe, écrivain et réalisateur d’émissions de télévision, “nourri par les musées, la littérature et la philosophie plus que par le cinéma” comme il le dit lui-même, Frédéric Ramade a réalisé Ode pavillonnaire, un moyen métrage aux confins de la fiction, du documentaire et de l’œuvre plasticienne, où “une famille ordinaire parvient à sortir du joug aliénant de la propriété grâce au secours providentiel de Marcel Duchamp”.

Voici un moyen métrage mi-fiction, mi-documentaire qui, par son titre, se veut un poème lyrique chanté en hommage au pavillonnaire. En effet, c’est bien le pavillon qui crève l’écran et s’impose comme personnage principal.

Une famille-type de quatre personnes (la mère à la cuisine, le père lisant le journal, le fils et la fille, adultes pas encore autonomes puisqu’ils résident encore sous le toit familial) dans un lotissement de province, Fondettes en Indre-et-Loire, égraine les qualités de son logement : le pavillon “c’est la liberté” ; “les voisins sont loin” ; “on est chacun chez soi” ; en contact avec la nature ; et puis “on a pu choisir son aménagement intérieur avec un escalier réalisé sur mesure”…

Ce sont les membres de la famille du cinéaste qui interprètent leurs propres rôles, Frédéric Ramade revenant sur les traces de son enfance, d’où des extraits de films Super-8 intercalés dans le déroulé de cette fiction-documentaire, qui donnent une épaisseur historique au destin de cette famille. On y devine les enfants, jouant avec la neige ou s’arrosant l’été, déguisés en Indiens.

Une maison, ce n’est pas une simple construction, mais comme Bachelard le démontre si bien dans sa Poétique de l’espace (1957), un véritable abri à souvenirs. L’espace, dit-il, retient le temps… De quel espace s’agit-il ? D’un banal pavillon, sans grâce, à l’architecture standardisée et à la décoration intérieure simple et certainement commode pour les habitants, qui visiblement ne se plaignent pas, d’autant que le bourg est à proximité, avec ses commerces – on y voit la mère faire ses courses et converser avec des connaissances.

Cette famille-type revendique un raisonnement de bon sens, pourquoi payer un loyer si l’on peut devenir propriétaire ? Sitôt admis, sitôt fait. La parcelle acquise, l’on édifie la maison. Des moyens limités donnent un habitat simple : pas de cave, un rez-de-chaussée avec le garage – par lequel on entre, et on sort – et les pièces à vivre, et à l’étage, mansardé, les chambres. C’est modeste et confortable. Le jardin est petit, mais autorise une partie de volant entre le père et le fils sous le regard admiratif de la maman. Elle veille à tout, aux mauvaises herbes à arracher, à la propreté de la demeure, à la confection des repas (“C’est prêt ! À table !”), aux commissions… Si la mère s’occupe à l’intérieur, le père, lui va chercher le courrier, rend service à des voisins et discute avec certains d’entre eux, par-dessus la haie fraîchement coupée. Cette répartition des tâches leur convient, ni la mère, ni le père ne paraissent en souffrir ; au contraire, un tel ordre des choses les rassure.

 

pas d’excès

De quel(s) temps s’agit-il ? Celui de l’existence rythmée à la fois par des grands événements (une naissance, un départ…) et par l’ordinaire urbain, avec ses répétitions, sa routine, ses habitudes. Chez les Ramade, pas d’excès, un sain ordonnancement du quotidien, pour la satisfaction de chacun. Cette ode chante le bonheur sobre de la vie dans un lotissement. Elle ne diabolise pas “la maison individuelle”, que tant de technocrates montrent du doigt au nom de “l’étalement urbain” qui serait une calamité… Elle n’identifie pas “pavillon” et “banlieue”, nous sommes là en province et plus précisément dans le Jardin de la France, pour reprendre le titre d’un célèbre tableau de Max Ernst. Certes, notre famille possède une voiture, comme toutes les autres familles du lotissement, mais gaspille-t-elle pour autant l’essence ? On en doute, tant leur vie vise plus l’harmonie que la débauche.

 

 

 

 

Le cinéaste circule avec son œil-caméra dans le lotissement et s’attarde, en de solides plans fixes, sur divers jardinets, des clôtures et des façades. Il parcourt les ruelles, peu encombrées, et s’étonne du calme qui règne. Ou plus exactement du temps qui passe, sans faire de bruit, sans aucune agitation inutile, dans le respect de son homogénéité. Le vieillissement, seul, témoigne de la durée. Une ride de plus, un cheveu gris, un ralentissement dans la marche, une douleur, ce sont les signes que le sable s’écoule inexorablement, mais avec une sorte de tendresse pour nos habitants, qui restent unis malgré le changement d’âge.

Toute maison habitée est digne et possède sa beauté. Le spectateur peut en préférer une autre, à ses yeux plus aimable, plus chatoyante, plus esthétique, avec un jardin plus envahissant et luxurieux. C’est la maison des Ramade, ils y sont bien. Ils l’ont “faite”, comme un vêtement dans lequel chacun est bien et qu’il revêt dès qu’il le peut, car son usure lui est familière. C’est la maison des Ramade qui correspond à une œuvre d’art, un “ready made” – admirer la pirouette langagière – que des Japonais viennent filmer, c’est dire si elle vaut le déplacement !

Le cinéaste pratique l’humour, il se moque gentiment des siens – qui jouent théâtralement – et cadre, par exemple, les noms des rues (des musiciens comme Ravel et des peintres comme Cézanne) qui ne rappellent en rien la localité. Il inscrit cette histoire individuelle dans une histoire collective plus générale et fait remonter la naissance du pavillonnaire à la loi Loucheur (1928). Les historiens démontrent que le financement auquel cette loi aidait a surtout bénéficié à de l’habitation collective et peu à la maison individuelle, contrairement à une idée reçue, visiblement tenace.

Ce retour au lieu de son enfance s’apparente davantage à un voyage dans un pays plus que dans la reconstitution d’une période passée. Ce pays, pour lequel chacun éprouve de la nostalgie, se nomme “pays natal”. Et il vaut bien une ode.

 

Thierry Paquot, décembre 2009.

 

À lire :

Demeure terrestre, enquête vagabonde sur l’habiter, par Thierry Paquot, Les éditions de l’imprimeur, 2005.

Habiter la maison individuelle, par Pascale Legué, CAUE de Charente Maritime, 2008.