Müret Isitmez propose à ses parents un retour aux sources jusqu'aux montagnes d’Anatolie orientale, le temps de "tout raconter", de l’enfance au bord de la rivière jusqu'à l'exil en banlieue de Strasbourg, au milieu des années 1970. Chacun séparément se souvient, par-dessus les ruines et par-delà les tombes, d’une époque où la misère poussait les hommes à partir toujours plus loin pour nourrir leurs proches.

Le récit du père débute dans les Trente Glorieuses, quand la France recrutait de la main-d’œuvre et favorisait le regroupement familial. Hasan est alors parti devant ; une séparation traumatisante que Gülperi, la mère, revit encore parfois aujourd'hui dans ses rêves. La réalisatrice construit au montage les deux trajectoires disjointes, mais symétriques, qui vont se croiser au village où ils se sont mariés. Dans les prés où ils gardaient le bétail, sur le seuil d’une ancienne maison ou à la gare d’Istanbul, la caméra enregistre le roman parental et sa géographie. Comme une ultime extension de celui-ci, Müret et son équipe de tournage entrent à leur tour dans le cadre. A l'image, tandis qu’Hasan traverse le Bosphore pour remonter le temps, Gülperi commence son histoire à l’autre extrémité de la Turquie par le massacre de Dersim, en 1938. Depuis les villages ont changé de nom. Au cours des longs trajets, la nostalgie point en chansons faisant couler des larmes sur les paysages familiers.  

(Charlotte Ferchaud)