Héritier des expérimentations soviétiques des années 1920-1930, Artavazd Pelechian (né en 1938) a perpétué au travers de douze films la vision d’un cinéma transcendantal et onirique. Antinomique à la question du réel, son cinéma est un "monstre", comme il le désigne, qui construit par le biais du rythme une réflexion mystique sur la condition humaine. Des rouages mécaniques d’une tireuse optique aux émotions des spectateurs, Vincent Sorrel analyse la trajectoire des images manipulées et sublimées par Pelechian.

À partir d’un plan de Nous (1969), le visage d’une enfant dont le regard intensifié par un ralenti cristallise le destin tragique du peuple arménien, le film pénètre dans l’œuvre singulière de Pelechian, cinéaste-monteur qui façonne, distord et altère le réel pour le recomposer en une partition formelle. Support organique et émotif, la pellicule est pour lui le territoire d’expérimentations protéiformes (usage des négatifs, répétitions, surimpressions), associé à un montage sophistiqué qui épouse la bande son. "La source du rapport à l’image se situe dans la musique que je choisis," dit-il lors d’une présentation de ses films. Entre l’image et le son, c’est un "rapport croisé de changement de territoires". Dans un atelier de cinéma expérimental où Sorrel se plaît à filmer en gros plans les machines, le cinéaste Etienne Caire recompose sous nos yeux les gestes du cinéaste arménien. A l’appui de nombreuses séquences des films de Pelechian (dont Fin, 1993, l'un de ses derniers films), de ses paroles, des manipulations à vue de Caire, Sorrel construit une dialectique en forme d’exercice d’admiration. Le cinéaste est un cosmonaute synthétise ainsi l’acte de vie glorifié par le mouvement, qui nourrit toute la filmographie de Pelechian.

(Robin Miranda das Neves)