Dénoncer l’impensé de notre civilisation, telle est l’ambition du film de Legendre, Caillat et Bardet, dans la continuité de leur précédent La Fabrique de l’homme occidental. Les valeurs gestionnaires et techniciennes ont conquis la planète, accomplissant le rêve millénaire de l’Eglise. L’humanité se veut désormais coupée de sa tradition et délivrée de sa part d’ombre. Mais sous couvert de science et d’efficacité, une nouvelle Foi se répand...

Bien plus qu’un commentaire, le texte inédit de Pierre Legendre constitue le cœur de cet essai cinématographique. Les images ne se proposent pas d’illustrer une pensée dense et radicale mais d’ouvrir des brèches. Derrière les congrès des grandes entreprises en France ou au Japon, les séminaires de cadres aux Etats-Unis, les réunions de l’OMC ou les festivités sénégalaises en l’honneur de généreux donateurs des multinationales, le film donne à voir les nouvelles liturgies modernes. Car le nouveau pouvoir, "puissant parce qu’il est mou", ne peut se passer de rituels afin de conquérir les cœurs. Bien qu’exprimés dans un nouveau jargon, les rêves de notre néo-humanité demeurent terriblement archaïques : jeunesse éternelle, immortalité, invincibilité... Les humains résistent comme ils peuvent à ce déracinement planétaire et les vieilles religions, comme le montre la foule de la Pâque orthodoxe à Jérusalem, n’ont pas dit leur dernier mot.

(Eva Ségal)