Depuis 2000, Marie Dumora s’attache à filmer des membres de la communauté yéniche en Alsace et en Lorraine. Après avoir consacré un film à la sœur aînée de Belinda, la réalisatrice livre ici un émouvant portrait de la cadette, de l’enfant sous la tutelle de son éducateur à la jeune mariée. Avec ce récit de vie elliptique articulé autour de trois moments-clés – Belinda à 9 ans, 15 ans et 23 ans - elle interroge les liens familiaux, la notion de fratrie, sa dimension fusionnelle comme ses lignes de fracture. Et, dans un geste qui refuse l’entretien sociologique, met pourtant la question de la reproduction sociale au cœur de son questionnement.

Au début, elles sont deux face à la caméra. Sœurs quasi jumelles, fugueuses, gouailleuses, qui, à 10-11 ans à peine, ont déjà connu le placement en foyer ou en famille d’accueil. Et auxquelles un éducateur lit le jugement qui décrète que "le retour auprès de la mère n’est pas souhaitable". "Qu’est-ce que ça veut dire ?" répond Belinda. Pour révéler la profondeur du hiatus entre un jugement social et la façon dont un individu éprouve sa réalité familiale, Marie Dumora choisit de faire place au seul point de vue de Belinda et à sa personnalité en devenir. Quels sont les chemins d’affranchissement - ou d’aliénation - qui s’ouvrent à soi quand les cases chômage, délinquance, prison et maternité précoce ont déjà été cochées par un parent, un frère, une sœur ? Et dès lors, qu’est-ce que faire famille ? Sans commentaire mais avec une empathie manifeste, Belinda interprète à nouveaux frais la notion de livret de famille, objet surinvesti par une héroïne aussi cabossée que déterminée à aimer.

(Céline Leclère)