Pour Annie Cohen (née à Sidi-bel-Abbès en 1944), écrire et dessiner procèdent d’une même urgence vitale. Alors qu’elle n’avait jamais écrit une ligne de fiction, sur les conseils d’une voyante elle a abandonné sa vie de bureau et plongé dans l’écriture. Ses premiers dessins sont nés d’une impulsion aussi spontanée : elle entre un jour dans un grand magasin, achète du papier Canson et aussitôt se met à l’ouvrage avec des tubes de rouge à lèvres.

Auteure d’une vingtaine de livres, artiste reconnue exposée au Centre Pompidou, Annie Cohen s’est engagée dans l’aventure artistique sans école ni références savantes. Son admiration et sa tendresse vont aux artistes qu’on dit "naïfs" ou "ouvriers". Solitaire, écartelée, elle cherche sans relâche dans l’écriture comme dans le dessin les voies d’un apaisement intérieur. Filmée peu de temps après un accident vasculaire cérébral qui a failli lui faire perdre l’usage du langage, elle tente de surmonter cette épreuve traumatisante en l’écrivant. Au fil des entretiens filmés, elle évoque quelques thèmes de ses livres : l’Algérie, matrice de sa poésie, sa mère, dont elle a recueilli les rêves inassouvis, la Bièvre, rivière enfouie sous le bitume, et cette cafétéria, où tous les après-midis de sa convalescence elle a croisé d’autres pauvres solitaires, estropiés de l’âme. Mais son thème majeur demeure l’écriture elle-même, cet océan de mots auquel elle a confié son frêle destin.

(Eva Ségal)