Dénommé Fête galante au lieu de Pèlerinage à l'île de Cythère dès sa réception à l’Académie royale de peinture de Paris, sans doute pour que le jeune virtuose n’ait pas les honneurs dus aux peintres d’Histoire, ce tableau de 1717 a ensuite été considéré telle sa "réplique" de Berlin comme un Embarquement. Il a retrouvé son titre d'origine près d'un siècle et demi après. Mais mythologique ou non, c’est bien d’amour qu’il s’agit.

Portant le bâton des pèlerins et le mantelet des voyageurs, les couples de cette farandole bucolique rendent hommage à Vénus près d’une barque à proue en coquille. Leur évolution représente-t-elle les trois stades de l’amour selon les Anciens : persuasion, consentement, harmonie ? L’artiste les croque par petites touches rapides et emprunte une riche variété de tons aux Vénitiens. Cependant, le théâtre est sa grande source d’inspiration. Les plans rappellent les décors à coulisse ; la tenue du mezzetin est typique de la Commedia dell’arte. Peut-être est-ce même l’illustration d’une comédie dont le divertissement final invite au pèlerinage à Cythère, thème qui gagne alors tous les arts, tel Le Carillon de Cythère de Couperin. Watteau l’évoque souvent, notamment dans L’Île enchantée. Le relâchement de l’ordre moral sous la régence de Philippe d’Orléans peut expliquer cet engouement, reflet de l’éclosion de cercles libertins prônant la sensualité.

(Laurence Wavrin)