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Le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir à Paris

Le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir à Paris
“Conserver une mémoire audiovisuelle des femmes de notre temps” et la continuer, c’est sur ce postulat que Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder, militantes féministes de la toute première heure, fondent le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, à Paris en 1982. Deux objectifs : faire connaître les œuvres audiovisuelles concernant les femmes et soutenir les créatrices dans leurs projets.

Fermé en 1994, non faute de combattantes (toujours et encore sur le front), mais bien par manque de temps pour les lourdes tâches inhérentes à son administration, le Centre renaît aujourd’hui, dans un local du IXe arrondissement. Après avoir recherché et recensé le fonds audiovisuel actuellement disponible, la nouvelle équipe a engagé la restauration des films et réorganisé leur conservation. Nicole Fernandez Ferrer, chargée des archives et de la documentation du Centre dès 1982, et qui avait créé, notamment, un thésaurus spécifique femmes et audiovisuel, en est l’actuelle déléguée générale. Ces nouvelles bases permettent à présent au Centre de planifier de nouvelles acquisitions et des modalités de coproduction. Il est désormais à pied d’œuvre(s) pour distribuer un bien précieux pactole de films engagés – hier comme aujourd’hui – dans la lutte pour l’égalité hommes-femmes, dans le combat pour une société plus juste, dans un travail de mémoire individuelle ou collective. Une partie du fonds audiovisuel, répertorié avec la collaboration d’Hélène Fleckinger, est d’ores et déjà à la disposition du public et des chercheurs.

 

en vidéo... corps et biens

De temps immémoriaux – mais dont on se souvient très bien – caméras et moniteurs vidéos étaient systématiquement installés dans les appartements ou les locaux inadéquats où se tenaient les réunions, et il fallait toujours faire attention de ne pas se prendre les pieds dans l’enchevêtrement des fils ou de bousculer les installations. On se le rappelle : sur les parcours des manifs autorisées ou sauvages, nos vidéastes apparaissaient masquées à demi par les viseurs des caméras Portapacks. On en prenait l’habitude, on les oubliait presque, on ne savait pas encore qu’il s’agissait là, fidèlement, d’emmagasiner les matériaux d’une mémoire inédite, une histoire de femmes mémorisée par des femmes. Elles dressaient ainsi l’état des lieux et des conditions de vie, aidaient à définir les urgences et les revendications, mesuraient les initiatives collectives ou individuelles, contribuaient à solidifier les acquis. Pour preuve : la chronologie de cette production militante constitue en elle-même une fidèle chronique, film à film, des grands mouvements sociaux vécus par des femmes ou engagés par celles-ci, de l’après-68 à nos jours.

Aujourd’hui, au Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, c’est donc toute une mosaïque de trajectoires et de réflexions qui nous est proposée, où chaque pièce a sa place dans le passage d’un moment à un autre de l’histoire sociale – donc des femmes – depuis trente-cinq ans. De l’effervescence et de la radicalité des années 1970 aux espoirs des années 1980, de la récession des années 1990 aux nouvelles régressions sociales du deuxième millénaire.

 

le temps des copines

Au début, il s’agissait de traduire vite fait bien fait les luttes en cours : traductions quasi-simultanées, films-miroirs pour réfléchir le mouvement plutôt que le refléter. Une photographie d’autant plus fidèle que les vidéastes étaient toutes elles-mêmes au cœur des luttes, et parties prenantes de ces combats. Ainsi, dès le début des années 1970, Carole Roussopoulos fait le point sur le mouvement noir américain, soutient le mouvement naissant du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Le FHAR), court interviewer la première femme Conseiller national de Suisse (Gabrielle Nanchen). En Novembre 1971, elle couvre la toute première manifestation de femmes françaises réclamant la dépénalisation de l’avortement (Y a q’à pas baiser), alors que s’installe simultanément rue Vieille-du-Temple, la “boutique” du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Collectif dont la revendication ne sera entendue par les pouvoirs publics – avec l’instauration de la loi Veil – qu’au terme de quatre ans de luttes pour obtenir ce qui semble aujourd’hui si légitime : l’appropriation sans précédent par les femmes de leur corps et donc de leur vie.

C’est l’époque du collectif des Insoumuses (Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig, Ioana Wieder et Nadja Ringart). Tandis qu’elles concoctent, en 1975, un Maso et Miso vont en bateau qui renvoie aux pavés de l’enfer la bonne intention de la première Année internationale de la Femme, l’immense actrice Delphine Seyrig entreprend de dresser un bilan terrible sur la misogynie en cours dans sa profession (Sois belle et tais-toi), puis compose avec Carole Rossopoulos un réquisitoire contre la “domination mâle” par la présentation du livre SCUM Manifesto de l’américaine Valerie Solanas.

Pendant que Ioana Wieder met à mal le mythe de l’accouchement “sans douleur” cher au Professeur Leboyer (Accouche !), puis cosigne avec Delphine Seyrig Où est-ce qu’on se Mai ?, sur les brutalités des syndicalistes CGT à l’encontre des féministes, Carole Roussopoulos est de tous les fronts. Elle engrange six vidéos sur la lutte des LIP à Besançon qui mènent une extraordinaire expérience d’autogestion ouvrière ; elle accompagne la manifestation féministe de 1975 contre l’Année internationale de la Femme (8 mars 1975) ; elle filme à Lyon l’occupation de l’église Saint-Nizier par des prostituées (Les prostituées de Lyon parlent) et Kate Millett, une des initiatrices du mouvement féministe américain, débattant avec des féministes françaises sur le sujet de la prostitution ; elle dénonce, avec Ioana Wieder, l’exécution des militants basques (Les Mères espagnoles), milite pour le retour des réfugiés chypriotes (La Marche du retour des femmes de Chypre), plaide, avec Catherine Vallabrègue, pour une école non sexiste (Ça bouge à Mondoubleau et Ça bouge à Vendôme), et revendique, aux côtés du Collectif féministe contre le viol, la qualification en crime passible des Assises de ce qui était considéré jusqu’alors comme un simple délit de Correctionnelle (Le Viol : Anne, Corinne, Annie, Brigitte, Josyane, Monique et les autres…). Une revendication qui sera reconnue par le législateur après cinq ans de sensibilisation, d’actions et de procès exemplaires et épuisants.

C’est en s’appuyant sur ce dernier acquis que le mouvement des femmes va aussi dénoncer l’ampleur et la douleur du crime d’inceste en France, une lutte toujours appuyée par des vidéos de Carole Roussopoulos : L’Inceste : la conspiration des oreilles bouchées, L’Inceste : lorsque l’enfant parle ou encore Les Murs du silence. Dans la foulée, les féministes dénonceront aussi le viol conjugal dont elles n’obtiendront la criminalisation que plusieurs années plus tard (Viol conjugal, viol à domicile). Et puisque, logiquement, les collectifs féministes orientaient aussi la réflexion sur le travail des femmes et leur discrimination en milieu professionnel, c’est tout aussi logiquement que la réflexion fut soutenue par une série de vidéos dont Les Travailleuses de la mer, Profession : conchylicultrice, Profession : agricultrice, Égalité professionnelle : ça bouge dans les transports, etc. 

 

contexte, bilan et relève

En 1987, un an après sa mort, un premier hommage est rendu à Simone de Beauvoir, marraine du Centre : Delphine Seyrig réalise le très serein Pour mémoire, alors qu’elle est elle-même déjà atteinte par la maladie qui va l’emporter trois ans plus tard. Présente dans toutes les mémoires, l’actrice illumine le bilan du mouvement que Carole Roussopoulos dresse en 1999 : Debout ! Une histoire du mouvement de libération des femmes, 1970-1980 (prix du Public au Festival international de films de femmes de Créteil).

Dans cette effervescence militante ayant marqué les années 1970, il faut encore citer d’autres initiatives qui ont jalonné la rencontre des féministes avec la vidéo. La création, par exemple, du collectif Musidora où des réalisatrices comme Michka Gorki et Liliane de Kermadec venaient présenter leurs films et en débattre, et qui a créé le premier festival de films de femmes en 1974. Ou encore, en octobre 1977, la programmation par des féministes au cinéma Jean Renoir à Pigalle, de trente-six films de femmes ; des projections et des débats houleux qui amenèrent quelque trois mille femmes politisées et engagées dans une myriade de collectifs féministes. Deux ans plus tard, le Festival international de films de femmes s’installait à Sceaux, puis à Créteil… pour s’y pérenniser jusqu’à aujourd’hui.

Et une pléthore de films dont les titres en disent long sur la diversité des sujets abordés et qui, pour la plupart, sont disponibles au Centre audiovisuel Simone de Beauvoir : Adolescentes et nouvelles technologies, de Martine Fabre, Ça bouge à quinze ans, de Nina Barbier, Question de temps, des femmes en associations et en coopératives, de Claude Jourde, La Conférence internationale des femmes, Nairobi 85, de Françoise Dasques, Des femmes immigrées de Gennevilliers, de l’Association des femmes arabes immigrées en France, La drogue, on peut s’en sortir disent-elles, de Geneviève Bastid, Le Récit de Farida, d’Isabelle Delloye et Fara, Le Voyage d’hiver, de Josée Constantin, Les Enfants du sexisme, d’Angèle Grimaldi, Pourquoi les oiseaux chantent ? d’Hélène Châtelain, etc.

Et les films de Nicole Fernandez Ferrer : Gagner sa vie (sur l’association Retravailler) et Pionnières et dictionnaires du cinéma, 1900-1960, coréalisés avec Carole Roussopoulos et Ioana Wieder ; Des femmes maghrébines créent des emplois, coréalisé avec Houria Debbab et Houria Ouad, ou encore Futur simple (sur les aspects socio-économiques de la préretraite) et Et va la vie (sur les jeunes filles d’un service d’éducation surveillée en Seine Saint-Denis).

Toutes ces vidéastes ont, pour la plupart, continué de filmer. Elles ont formé d’autres femmes. Et la relève existe. Il n’y a qu’à visionner La Rage ou le Foulard de Yasmina Yahiaoui pour s’en convaincre.

 

le renouveau

L’idée de rouvrir le Centre remonte à quelque trois ans. Convaincue des “bienfaits de la vidéo féministe”, l’équipe se dote d’une nouvelle structure associative et d’un lieu d’accueil pour le public, puis, avec les moyens limités du bord, entreprend l’évaluation du fonds, une première restauration des films en souffrance et la recherche des réalisatrices ou de leurs ayants droit. Début 2004, venue en visiteuse au Centre pour nourrir sa thèse de troisième cycle, la jeune doctorante Hélène Fleckinger est embarquée dans l’aventure et promue responsable de la distribution. C’est que cette fois, c’est décidé, parole de déléguée générale : “Pour sauvegarder et transmettre notre mémoire audiovisuelle, on procède au dépôt légal, on ajoute un peu de rigueur dans la tradition joyeusement anarchiste du mouvement des femmes.”

Contacts sont pris également avec la Bibliothèque nationale de France, les Archives du film du CNC à Bois d’Arcy, et différents centres de ressources et d’archives. (En novembre 2004, le Centre a organisé, avec les Archives du féminisme et la BNF, le premier colloque sur les archives audiovisuelles du féminisme).

Résultats : depuis mars 2005, cent titres figurent déjà dans le catalogue de distribution. Parallèlement, le Centre propose depuis deux ans des programmations thématiques. À Paris (Mois du film documentaire à École nationale des Beaux-Arts, Festival de films gays et lesbiens, Centre Georges-Pompidou, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine), mais aussi en régions (Bordeaux, Reims, Digne, etc.) et à l’étranger (Corée, Taïwan, Espagne). En projet : une programmation régulière dans une salle parisienne qui permettrait de faire mieux connaître les ressources du Centre.

D’autre part, un cycle de projections mensuelles a été mis en place depuis janvier 2004 à la maison d’arrêt de femmes de Fleury-Mérogis, et les femmes détenues participent à des débats avec des professionnels du cinéma ; une initiative qui rencontre l’objectif d’éducation à l’image et de formation à la documentation audiovisuelle, formation également mise en place début 2004 par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir au Centre d’orientation et d’information des femmes de Marseille. Dans cette même ville, l’équipe a mené des interventions en milieu scolaire avec la présentation de films. Du coup, l’expérience a fait germer deux projets supplémentaires : la mise en place d’ateliers vidéo au Centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis et, à Paris, dans des écoles primaires et des collèges, l’organisation d’ateliers d’analyse de l’image autour des stéréotypes sexuels au cinéma.

 

Doucha Belgrave, août 2005.

 

 

 

Y a q'à pas baiser

 

 

 

 

 

 

Maso et Miso vont en bateau

 

 

 

 

Les prostituées de Lyon parlent

 

 

 

Les Mères espagnoles