1. Les Anes ont soif. Rafael Correa, président de la République d'Equateur (de 2007 à 2017), n’intéresse pas les médias grand public en France. En 2013, bien qu'hôte officiel pendant quatre jours, il n’est invité à s’exprimer nulle part sauf en Sorbonne. L’Equateur, son président socialiste, sa politique économique en faveur des déshérités passent sous les radars. Interrogés, les journalistes politiques se dérobent ou montrent les dents. Une fois de plus, Pierre Carles et son équipe explorent le microcosme des "chiens de garde". Nul complot. Les réflexes professionnels suffisent pour écarter les sujets jugés "marginaux", "hors de portée du spectateur du 20 heures", "trop complexes pour être exposés en 40 secondes". Pourtant, Rafael Correa, francophone, économiste de formation, élu et réélu plusieurs fois en raison d’un bilan exceptionnel, serait un bon "client". Pour s’informer sur l’Equateur, il faut alors se reporter au Monde diplomatique - mensuel systématiquement ignoré par les médias dominants - et aussi, plus surprenant, au Figaro qui, dans l’intérêt bien compris des investisseurs, évalue le pays à l’aune du profit et non de l’idéologie. Menée avec humour et punch, l’enquête confirme les précédentes. Les médias n’ont nul besoin d’être téléguidés pour rendre inaudible toute alternative à l’orthodoxie néolibérale.

2. On revient de loin. Pierre Carles envoie en Equateur une petite équipe afin d’en savoir plus sur ce socialiste exemplaire qu’est le président Rafael Correa. A l’épreuve du terrain, leur enthousiasme décroît. Le bilan de l’ancien professeur d’économie qui achève son second mandat est certes impressionnant et sa popularité reste grande. Pourtant certains militants de gauche déplorent ses reculs et doutent qu’il ait traité le mal du sous-développement à la racine. Face aux médias privés qui pilonnent ses réformes, face à une droite qui affronte la police dans la rue, Correa reste serein et pédagogue. Il en appelle à la raison et à la cohésion nationale. Pourtant, à mesure que leur enquête avance, les reporters découvrent les limites de son progressisme. Ainsi, ancré dans un catholicisme traditionnel, Correa refuse-t-il toute discussion sur l’avortement. La performance du pays est certes exemplaire sur le plan énergétique avec 100% d’électricité renouvelable, mais son économie reposera encore longtemps sur "l’extractivisme" pétrolier. Soucieux d’égalité, Correa envisage une réforme radicale de l’héritage. La mobilisation massive des grands et petits propriétaires va le contraindre à un recul sans gloire. Aussi la gauche radicale s’interroge. En dix ans, aura-t-il réussi à extirper les racines de pauvreté ? N’est-ce pas un projet illusoire tant qu’on ne renverse pas les rapports capitalistes ?

(Eva Ségal)