Année de la mort de Lénine, 1924 est aussi celle où disparaît l'alpiniste britannique George Mallory lors de sa tentative d'atteindre le sommet de l'Everest. Établissant un parallèle entre ces deux disparitions qui n'en sont pas totalement une – puisque, comme, le dit le film, "leurs corps persistent encore aujourd'hui" –, Corps Samples entremêle infiniment grand et infiniment petit, végétal et humain, minéral et animal, objets manufacturés et matières premières, exploitation à grande échelle et tourisme soviétique.

S'ouvrant et se clôturant sur la progression aussi nonchalante que fascinante d'un crinoïde – animal marin aux allures de plante et dont l'existence est attestée depuis 500 millions d'années –, Corps Samples déplie un récit fondé sur l'entrechoquement d'images. La géologie croise les circuits d'extraction des ressources terrestres et de productions de matériaux, l'organique se frotte au technologique, les images tournées en 16 mm succèdent à celles trouvées sur Internet. L'ensemble compose une élégie où l'altération et la métamorphose traversent toutes les époques. Sur fond de nappes sonore aux accents hypnotiques, le film agrège les échelles et les images. Il se dit dans ces mises en correspondance deux versants possibles de la transformation et de la persistance. Celui né de la main de l'homme (dont Lénine embaumé à grands renforts de produits chimiques est la métaphore parfaite) et celui fruit de la nature et de la sédimentation (le corps de Mallory ayant été découvert en 1999 congelé et momifié).

(Caroline Châtelet)

Compétition française, Cinéma du Réel 2021.