Depuis le mitan des années 1990, le chorégraphe français Jérôme Bel s'est imposé comme une figure majeure de la danse contemporaine. Sima Khatami et Aldo Lee rendent compte de son travail radical, qui préfère à la virtuosité technique la vérité des interprètes (qu'ils soient amateurs ou professionnels). Sur scène comme en coulisses, Être Jérôme Bel révèle un artiste se défiant des attendus et déconstruisant à loisir les conventions – de la danse, de la place des spectateurs et des enjeux de la représentation (de soi).

Les réalisateurs ont filmé Jérôme Bel de 2015 à 2019. Cette durée au long cours infuse forcément le projet, et ce qui devait initialement être un documentaire au plus près du travail du chorégraphe intègre progressivement les aléas de la réalisation. Car regarder œuvrer Jérôme Bel implique de composer étroitement avec lui, ses exigences et intuitions. En le suivant sur scène et en répétition (Pichet Klunchun and Myself, 2017, 1000, performance au musée du Louvre, 2015, Gala, 2015-2017, Tombe, 2015-2016), en interviews, en réunion avec ses collaborateurs ou lors de ses échanges avec les deux réalisateurs, Être Jérôme Bel capte tous ses paradoxes. Si certains tiqueront devant la démarche d'un artiste qu'ils trouveront frôler parfois la manipulation, d'autres reconnaîtront sa fertile complexité et son bousculement salvateur des normes. En saisissant ces ambiguïtés, le film redouble de manière passionnante dans son propos certaines questions propres à son travail : refus de la complaisance, auteur de l’œuvre, goût pour l'échec et rôle du chorégraphe dans chacun de ses projets.

(Caroline Châtelet)