Arthur Penn a immortalisé Helen Keller (1880-1968) dans son film Miracle en Alabama (1962), en arrêtant l’histoire quand l'enfant sourde et aveugle découvre le langage ; le cinéaste américain engagé John Gianvito préfère, lui, nous remémorer qu’après le "miracle", et diplôme universitaire en poche, Helen Keller consacra toute sa vie à des luttes humanistes au sein des mouvements socialiste, féministe et pacifiste. A travers différents registres d’images, il nous fait découvrir sa détermination sans failles incarnée dans ses écrits et ses nombreuses conférences, des convictions qui évoquent celles de la cofondatrice de la ligue spartakiste, Rosa Luxembourg.

Au fil du film, plusieurs régimes de paroles s’articulent, tous mis en scène différemment à l’image. Il y a le récit de la vie d’Helen Keller, lu dans un studio d’enregistrement par la poétesse Carolyn Forché, soit dans des prises en noir et blanc, soit en voix-off sur des plans où la nature (fleurs, écorces d'arbre, insectes, neige et ciel) domine dans des couleurs parfois saturées. Il y a, sur de sobres cartons sans son, les extraits de ses discours, lettres, ouvrages, articles. Il y a, enfin, une interview de l’activiste s’affichant sur des séquences tournées dans un théâtre vide. Toutes ces séquences sont parsemées de rares photographies et bribes de sa voix si particulière, les archives Helen Keller International (HKI) ayant été les victimes collatérales des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Ce travail formel précis exprime les multiples facettes d’une femme à l’intelligence, la vivacité et la radicalité irréfragables. En lutte contre la pauvreté, les inégalités, la misère et la ségrégation raciale, Keller se révèle une militante à la pensée percutante, non dénuée d'humour, dont les réflexions alimentent des penseurs contemporains - tel Noam Chomsky, que l'on voit en conférence sur le léninisme en 1989.

(Caroline Châtelet)

Cinéma du Réel 2021, hors-compétition.