Dans d'immenses serres de plexiglas et d’acier, des plants de tomates s’alignent à perte de vue en rangées bien tracées. Autonome sur quelques petites roues, un chariot s’active, puis un autre. Ce sont les nouveaux visages de l’agriculture moderne.

À l’aide de longs travellings au cadrage soigné, Gerard Ortín Castellví nous immerge dans ces centres de production où le végétal, à la fois matière première et produit fini, atteint des sommets d’optimisation. On découvre d’étranges parcours mécaniques : ce bec de métal qui pulvérise de jeunes pousses d’un liquide azoté nous laisse pantois. Agrilogistics choisit de réduire au minimum la présence humaine : aucune voix-off n’accompagne nos découvertes, et l’on aperçoit seulement quelques mains anonymes qui nettoient les pinces d’un bras robotisé. Quand tout cet acier, tout ce plastique et tous ces végétaux parqués voient tomber la nuit, l’atmosphère presque anxiogène du jour s’évapore tout à fait : comme des apparitions fantomatiques dans ces brumes teintées de diodes industrielles, un lama, une chèvre et un mouton investissent les serres et lancent à la caméra des regards étonnés. En confrontant l’animal sauvage au végétal régulé, le réalisateur propose une réflexion féconde sur les choix productifs (ou productivistes ?) qui façonnent notre avenir. Sans un mot, sans un visage, Agrilogistics parvient à émouvoir : le bruit d’un colibri désemparé se heurtant aux parois d’une serre dessinée seulement pour l’homme et dont il en est exclu.

(Noé Vidal-Giraud)