En 1985, un romancier inconnu se payait une pleine page de publicité dans Libération. La photo géante de ce jeune homme à la mine sombre s’assortissait d’un slogan inquiétant : "N’attendez pas qu’il soit mort pour lire Régis Jauffret." Désespoir, humour, provocation, narcissisme et théâtralité caractérisent aussi ce documentaire qui met en scène une rencontre avec les œuvres autant qu’avec leur auteur.

Dans le décor d’un studio se croisent une jeune récitante énigmatique et un romancier. À mesure qu’elle dit des fragments de Seule au milieu d’elle (1985), Histoire d’amour (1999) et Clémence Picot (2000), il rebondit sur ses propres textes, les commente, les nuance, les conteste même. Le jeu entre la comédienne Amandine Pudlowska et l’écrivain se déplace sur les quais de la Seine puis au sommet des tours de Notre-Dame. Au cours d'une seconde partie en forme d’interview – les questions demeurant off -, l’écrivain livre son art poétique. "On ne choisit pas son style pas plus qu’on ne choisit son visage" ; "Ce n’est pas avec le personnage que le lecteur de roman s’identifie – comme au cinéma – mais avec l’écrivain" ; "Plus qu’aux lecteurs, c’est d’abord à lui-même que l’écrivain veut plaire. Et l’on se reconquiert soi-même chaque matin." Solitaire et marginal au risque de la folie, Jauffret conclut sur la douleur de ne pas écrire, la littérature étant son unique espace de liberté.

(Eva Ségal)