Portrait en miroir de deux hommes : l’un, blotti dans des monceaux de détritus arrangés comme un nid, dormant parmi les mouches, l’autre assis sur une chaise, commentant les dessins et les notes qui remplissent ses cahiers et où se trouvent peut-être résolus les désordres du monde. Deux Burkinabès au seuil de la folie, métaphore implicite d’une Afrique outragée qui peine à prendre en main son destin.

À qui appartiennent les pigeons ? s’inscrit dans un travail au long cours mené par l’artiste et photographe Frédérique Lagny au Burkina Faso depuis 2006. Produit en 2012, deux ans avant le soulèvement populaire qui destitua Blaise Compaoré pour ouvrir un nouvel espoir démocratique, le film présente deux figures marginales pourtant riches d’une puissance artistique et prophétique. L’homme qui sommeille au milieu d’une décharge, comme celui qui transcrit de mystérieux messages sur ses cahiers sont filmés avec une grande attention à chacun de leurs gestes, aux détails du microcosme que chacun s’est formé, sans qu’aucun commentaire vienne expliquer leur situation. L’artiste, qui s’est intéressée aux laissés-pour-compte et aux formes d’expression populaire, semble guetter dans l’univers de ces deux hommes la voie d’une force créatrice et d’une soif de comprendre que le pouvoir politique et les conditions économiques du pays ont maintenues longtemps dans un état embryonnaire.

(Sylvain Maestraggi)