Les Misérables offre, près de 25 ans après La Haine de Mathieu Kassovitz (1995), une vision de la banlieue de l’intérieur. Ladj Ly filme, en effet, pour son premier long métrage le quartier dans lequel il vit et auquel il a déjà consacré ses courts métrages et un documentaire. Le récit nous fait habilement découvrir la cité des Bosquets à Montfermeil par le regard d’un policier qui débarque à la BAC et qui, guidé par deux co-équipiers, assiste dès son premier jour à une bavure.

Ly orchestre la rencontre entre le film de genre et un monde réel documenté. Les policiers à bout, les jeunes adultes qui trafiquent, les gitans qui cherchent un lionceau échappé du cirque, les Frères musulmans et les pré-ados désœuvrés sont autant de clans qui communiquent difficilement entre eux. Le regard du réalisateur ne réduit pourtant jamais les personnages à l’analyse sociologique, car ici chacun a une histoire : un ancien détenu se met à réciter du rap, un autre est devenu patron d’un kebab et s’est tourné vers la religion, et l’improbable Le Maire – c’est son surnom – sert de relais entre policiers et habitants de la cité. Si tout dérape avec l’œil blessé au flash-ball d’un ado, c’est celui d’un autre, ou plutôt la caméra de son drone, qui filme la bavure et va faire tout exploser : les images deviennent ici des armes, et les jeunes, relégués à l’arrière-plan dans les scènes du début, se révèlent le chœur inattendu d’une tragédie. Les tours assiégées, filmées dans des lumières crépusculaires, donnent alors aux Misérables des airs de western urbain.

(Martin Drouot)

Prix du Jury, Festival de Cannes 2019. César du meilleur film 2020.