En Espagne à l'approche de la frontière française, un chauffeur routier quitte momentanément l’autoroute pour se délester hâtivement dans la nuit du groupe de réfugiés clandestins qu’il transportait au fond de son fourgon frigorifique. Il craint d’être contrôlé par les policiers ayant rejoint en nombre la Junquera, village catalan frontalier aux enseignes tapageuses, depuis peu bloqué par les Gilets Jaunes. Dans son camion pourtant reste encore l’un des exilés.

Paradise se construit au gré des bifurcations qui s’imposent à son personnage de passeur car jamais le trajet de celui-ci ne ressemblera à la ligne droite de l'autoroute qui relie l'Espagne à la France. Ne pouvant se résoudre à abandonner l’homme engourdi par le froid qu’il découvre après s’être débarrassé lâchement du reste du groupe - sur ordre d'un mystérieux commanditaire au téléphone -, le camionneur reprend à cœur son rôle de passeur. Pablo Guirado traduit cinématographiquement ce moment de bascule : son film adoptera désormais tour à tour le point de vue du conducteur et celui du clandestin. Dans une fente des rideaux tirés à l’arrière de la cabine, le jeune homme découvre les non-lieux (stations-services, aires de repos, restaurants routiers, bars à hôtesses aux enseignes exotiques) d’un paysage qui peine à renvoyer l'image d'une quelconque liberté. C’est à l’intérieur de l’habitacle devenu huis clos que se révèlent pourtant l'entraide et la complicité entre les deux hommes.

(Damien Truchot)