Les voix de Marguerite Duras et de Benoît Jacquot dialoguent et décrivent une histoire d'amour entre une femme et un homme qui ne se rencontreront pas : une relation téléphonique dont les méandres s'éteindront dans les "poubelles de Neuilly" dit l'auteur. A l'image, les travellings dans Paris vidée de toute présence humaine alternent avec les plans d'un intérieur sombre. Là, au milieu des projecteurs pour un film à venir, trois comédiens sont comme figés dans leurs pensées. Sur leurs visages muets se projette le roman familial de F., la femme du récit entendu, et le désir de l'homme qui voudrait voir d'elle au moins une photographie.

Dans la continuité d’India Song (1975) et peu avant L’Homme atlantique (1981), Marguerite Duras place le spectateur face à un horizon de contradictions représentant l'essence même de son approche cinématographique. Vaisseau fantôme dérivant dans la nuit d'un passé incertain mais aussi dans le jour des jardins et des rues désertes, son film capte le mouvement, parfois infime, de toute chose : de l’impermanence des nuages dans le ciel bleu azur aux pleurs de la statue d’une fontaine, du calme de la respiration perçue sous un vêtement au scintillement d’une robe rouge étendue sur un mur. Dans le même temps, la nuit du titre traduit les béances nées de la confrontation du récit avec l’immobilité de différentes sortes d’"images noires". Après qu’une main les ait maquillés successivement, les trois comédiens attendent assis devant une table ou debout devant une fenêtre, comme "arrêtés par un doute général". Leurs postures respectives reflètent alors autant la mort qui hante l’histoire d’amour que ce film qui n’a pas été tourné et qu’une mélodie jouée au piano dans la pièce voisine accompagne pourtant.

(Damien Truchot)