Sans entretien ni commentaire, Gaëlle Vidalie filme Rafi Pitts pendant six jours sur le tournage de Soy Nero (2016) dans le désert de Mexicali. Interdit de tourner en Iran depuis The Hunter (2010), le cinéaste s’intéresse à ces green card soldiers, qui entrent dans l’armée américaine dans l’espoir d’avoir des papiers et le paient souvent de leur vie. Les extraits de ses films précédents complètent ce portrait d’un cinéaste sans frontières.

Un acteur est piqué par une abeille ; l’équipe attend le lever du soleil ou un accessoire de taille – des mitraillettes : face aux aléas du tournage et sous une chaleur écrasante, Rafi Pitts garde une ironie à toute épreuve. Casquette vissée sur le front, veste qui se fond dans le paysage sablonneux, il scrute le moniteur : un acteur est en train de réussir une chorégraphie complexe dans un paysage somptueux. Le réalisateur se rappelle, avec le même émerveillement, avoir fait quasiment le même plan à l’autre bout du monde – le petit garçon qui danse sur une colline dans Sanam (2000). Tel plan de tir sur une voiture tourné ici n’est d’ailleurs pas sans évoquer le snipper de The Hunter. La caméra ne lâche pas le cinéaste, souvent de profil, toujours en plans serrés, comme à l’affût d’une leçon de mise en scène : citant John Cassavetes, Pitts vante la durée et le téléobjectif qui donnent toute liberté à l’acteur, et vit chacun de ses plans comme un pari intuitif et ludique.

(Martin Drouot)