Aujourd'hui âgé, calme et serein, le Corse Pierre Giudicelli aurait pourtant dû mourir dix fois, selon ses propres dires. Braqueur de haute volée, condamné au moins douze fois, recherché par tous les policiers de France, Pierrot a purgé 25 ans de prison. Mais avant la geôle, pour attendre loin des hommes qu’arrive la prescription, il a pris le maquis. Au nez des hélicoptères et des gendarmes, Pierrot a vécu libre, se fondant dans une nature où "même les sangliers connaissaient son odeur".

C’est cette existence libre mais recluse que Julie Aguttes retrace, dans ces si belles montagnes de la Balagne (Haute-Corse), avec ses villages haut-perchés et ses “pagliaghji”, ces petites cabanes de pierre où l’on campe quand on est berger, où l’on se cache quand on est bandit. Elle fait parler les gens du village, pour qui Pierrot est un ami, un cousin, et aussi un peu une légende. On découvre au gré des rencontres ce qu'était la Corse après-guerre pour nombre de ses habitants : pauvreté extrême, exil sur le continent pour trouver du travail, guerre d'Algérie traumatisante où fut envoyé Pierrot comme tant d'autres, engrenage pour certains dans le grand banditisme. En croisant les témoignages de ses proches et du principal intéressé, elle laisse les voix en off nous raconter ce que l’on voit : les planques que recèle le maquis, les vues surplombantes pour voir de loin arriver la police... Elle nous offre aussi une entrée privilégiée dans des convivialités corses, où l'on chante souvent mais où l'on tait les noms, car “on voit, on regarde, mais on ne parle pas.”

(Noé Vidal-Giraud)