Juliette Cazanave nous donne à voir l'œuvre abondante de Félix Vallotton (1865-1925) sous l'angle de sa personnalité : observateur du monde, toujours en retrait. Une voix prête vie aux extraits de lettres et d'un roman d'inspiration autobiographique qui éclairent de l'intérieur la neurasthénie distanciée du peintre. Le contexte historique et artistique est pris en charge par le commentaire et les séquences d'archives.

Né à Lausanne, Vallotton tente sa chance dans le Paris des Impressionnistes et des Symbolistes. Formé aux maîtres du passé comme Holbein, il en retient l'exigence de vérité sans concession, qui convient à son éducation protestante dont les scories résistent à son athéisme. S'y mêle une certaine morbidité perceptible dans son attrait pour les corps objectivés, voire putréfiés, qu'on retrouve dans son roman La Vie meurtrière ou dans le thème des noyés. Quoique vite admis au Salon des peintres, c'est d'abord de la gravure sur bois que lui vient le succès. Ses portraits d'écrivains, au dessin élusif très contrasté, sont connus jusqu'aux Etats-Unis. D'autres séries servent ses idéaux anarchistes, dénonçant le pouvoir violent, en politique ou dans les rapports de couple. En peinture, il se montre audacieux avec les Nabis, puis plus classique : ses nus gagnent en plastique. Mais un trouble se glisse entre ses modèles déshabillés et leur mise à distance, froide. C'est là sa modernité.

(Laurence Wavrin)