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Les guerriers du bronx

Les guerriers du bronx
Dans Bx46, avec une caméra mobile et fureteuse, Jeremie Brugidou et Fabien Clouette nous plongent dans le marché aux poissons de New York, excentré de Manhattan depuis une dizaine d’années.

Peut-on voyager sans jamais quitter son bout de pavé ? A cette question, Jeremie Brugidou et Fabien Clouette répondraient oui. Venus poser leurs caméras au beau milieu du marché aux poissons de New York, situé dans le quartier industriel de Hunts Point dans le Bronx, les deux réalisateurs français nous font voyager autant dans l'espace que dans le temps avec Bx46, du nom de la ligne de bus qui mène à cette criée installée en 2005 après la fermeture du précédent Fulton Fish Market à Manhattan. Un univers peuplé de journeymen, ces “voyageurs” ou ouvriers qui approvisionnent New York en produits de la mer. “Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de chariot élévateur, tout se faisait avec des diables” raconte l'un d’eux au travers de sa longue barbe, tandis qu'un autre, à l'accent italo-américain à couper au couteau, enfonce : “Quand t'as 250 kilos sur un diable, c'est un voyage !” Herbie Slavin, doyen du marché et puits sans fond d'anecdotes, se rappelle : “Tu faisais ça sur les pavés, portant quatre caisses de poisson pesant 200 kilos, plus la glace, sur 100 mètres.” Bien que la tâche relève d’un travail herculéen, certains journeymen sont là depuis trente, quarante ans. D'autres ont dépassé depuis belle lurette l'âge de la retraite, au point que l'on se demande si c'est par simple habitude ou par réelle nécessité financière qu'ils continuent à (se) pointer tous les jours – ou plutôt, toutes les nuits. Ce bout de quai de Hunts Point abrite  maintenant une véritable mémoire vivante de New York avec son lot d’anecdotes dignes de films hollywoodiens de série B, sur des règlements de compte qui dérapent, des bagarres de bar ou une visite à l'improviste de Charles Bronson. 

 

Une histoire qui ne passe pas par la cartographie : tour à tour, chaque journeyman se prête au jeu d'identifier les emplacements de l'ancien marché, du nouveau ainsi que de l'endroit où il réside, mais peu y arrivent. Sur ces vues de satellite en noir et blanc que leur proposent les réalisateurs, ils cherchent des quais (“le quai de mon grand-père” dit l’un d’eux) ou des bâtiments qui n’existent plus. Les quartiers ouvriers du centre de Manhattan disparaissent peu à peu au profit des aménagements touristiques ou de loisirs. Désormais, le New Fulton Fish Market fourmille la nuit dans un contexte beaucoup moins pittoresque. D'un côté, une station d'épuration et un centre de tri. “T'as l'eau juste là, les déchets juste là, donc tout ça attire les moustiques. Ici, t'as intérêt à ramener du répulsif” rigole un des gars. De l'autre, le Vernon C. Bain Correctional Center, établissement carcéral posé sur une barge géante avec des prisonniers en attente de transfert pour l'ile pénitentiaire de Rikers. Conséquence étonnante, le marché au poisson intègre d’anciens détenus en quête d'un job, d'une nouvelle vie. Quitte à se casser le dos pour ça. Et écrire une nouvelle page de l’histoire du marché. Quant aux autres, ils prendront une retraite bien méritée, comme cet homme longiligne à fine moustache qui fait partie des murs. “J'ai dit à ma femme : quand je meurs, tu mets ça dans mon cercueil, ma casquette des Yankees et mes crochets.” 

Matthieu Rostac (février 2017)