De A comme apparition à S comme sauvé, ou à M comme mort et comme mère, Pierre Michon répond aux questions de Sylvie Blum. L’auteur des Vies minuscules s’explique sur l’écriture, "grâce" venue sur le tard et qui l’a sauvé de son propre enfer. Ce bel entretien en forme de profession de foi, où la vie même de l’écrivain semble engagée, est mené chez lui dans la Creuse. S’y ajoutent quelques vues en Super 8, tournées en extérieurs.

"J’ai cessé d’être un criminel en écrivant" déclare Pierre Michon (né en 1945) qui évoque Dostoievski et Faulkner, maîtres ou "grands frères" dont les romans sont habités par la pulsion du meurtre. Tuer le père, figure de toutes les oppressions, venger la mère, qui n’est que l’autre nom du peuple : pour Michon, la violence intime embrase le monde. Écrivain du "je" en train d’advenir et non du "moi" déjà parvenu, il se met en danger dans une écriture conçue comme la célébration d’un mystère. Cette écriture, nécessairement rare, il la pratique comme une performance artistique qui changerait à la fois l’auteur et le monde. Reprenant un mot de Georges Bataille, Michon s’efforce d’écrire "entre chien et loup". Côté chien, il situe le savoir, la culture, la maîtrise, côté loup, le secret du monde, la folie, la mort. À ceux qui on su magnifiquement se tenir sur cette crête vertigineuse, au premier rang desquels il place Shakespeare et Hugo, il réserve sa vénération et sa tendresse.

(Eva Ségal)