Dans un vaste hangar au cœur des Alpes autrichiennes, Cliff désosse méthodiquement de vieilles voitures et emballe longuement des moteurs avec un film plastique. À défaut de déplacer des montagnes, Cliff fait corps avec la ferraille, retourne à main nue les carcasses, arrache pare-chocs et phares, s'arrête le temps d'une pause cigarette pour observer son oeuvre. A des clients venus d'Europe de l'Est, il vend pièces détachées et véhicules restaurés, mais c'est dans son pays au Nigéria qu'il retourne régulièrement pour truster la seconde vie de ses véhicules.

Sebastian Brameshuber recueille l’assurance de Cliff, notamment pendant de sérieuses négociations avec les clients, et son impressionnante sérénité. D'un abord dur et métallique comme le décor de ce hangar, son film s'ouvre progressivement à la fluidité à travers l'étirement des plans consacrés aux gestes du travail. Une disjonction entre l’image et le son se glisse ponctuellement au sein de son montage, le bruit de fond d'un plan continuant à vivre durablement sur le suivant, tandis que le son de celui-ci ne sera pas entendu. Ce parti pris, qui accompagne notamment l’observation des moments de repos de Cliff, favorise l’émergence d’une douceur diffuse. Il fera encore se superposer le bruissement d'une nuit nigériane au brumeux paysage d’une route autrichienne cadré à travers le pare-brise d'une voiture. Un tel contrepoint suspend plusieurs fois le temps, magnifie gestes et paysages. Mais surtout, il offre la distance nécessaire pour reconsidérer la légende des lieux racontée deux fois par Cliff en voix off – celle d’un gisement de minerai de fer intarissable – à l’aune d’une réalité moins poétique, et que l’on devine autant géologique qu’économique.

(Damien Truchot)

Grand Prix, Cinéma du Réel 2019.