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Les Chants de la Maladrerie, genèse du projet
quand utopie et réalité se côtoient
À un moment où la religion est un facteur d’exclusion, j’ai envie de faire un film qui interroge la notion du vivre ensemble en banlieue. La cité lambda nous a été présentée maintes fois : nous savons ce qui exclut, nous connaissons les échecs architecturaux et urbanistiques de nombre d’entre elles. La Maladrerie a été construite à contre-courant des grands ensembles qui ont fait l’échec de la politique des banlieues menée depuis les années 1960. Renée Gailhoustet, son architecte, a mis en œuvre une architecture humaine favorisant le vivre ensemble par la mixité sociale, les espaces verts et les lieux de rencontres entre habitants de la cité.
L’idée est belle mais est-elle viable ? Car en effet, les problèmes de trafic de drogue et d’incivilité existent aussi et mettent en péril cette utopie sociale. Il n’est donc pas question dans ce film de promouvoir La Maladrerie comme cité exemplaire mais plutôt d’interroger l’impact que peut avoir un projet architectural utopiste sur la qualité de vie des habitants.
cartographie chantée
Il n’existe pas de carte précise de la Maladrerie tant cet espace est labyrinthique, même les GPS ne fonctionnent plus à l’intérieur de la cité. La cartographie permet de mieux comprendre l’espace, les territoires ou les paysages, c’est pourquoi j’envisage ce film comme une cartographie sensible où la carte n’est pas dessinée mais filmée et chantée.
Guy Debord a développé le concept de cartes “psycho géographiques” qui tracent graphiquement le rapport entre l’espace urbain et les états d’âme qu’il provoque. C’est de cette façon que j’envisage la construction de mon film : une réappropriation de l’espace urbain par l’imaginaire.
C’est par le biais du chant que j’aimerais décrire ce territoire, en m’inspirant de l’héritage de Jacques Demy ou de la comédie musicale américaine dont les héros sont souvent issus des classes populaires (je pense notamment à West Side Story, ou à La Vallée du Bonheur, dont les personnages résistent en chantant). La chanson est le miroir d’une société et/ou d’une époque : elle fait partie de notre patrimoine commun. Chanter, c’est décoller du réel, c’est s’opposer au désenchantement, c’est sublimer un sanglot en le rendant universel. Le portrait chanté est une forme qui revient beaucoup dans mon travail. La chanson n’est pas seulement une manifestation de joie ou de bonheur, c’est aussi un besoin irréfrénable de dépense physique face aux difficultés de la vie, cela permet de rendre tangible les tensions et les contrariétés de l’individu dans son contexte de vie.
La Maladrerie est habitée par des personnes aux origines diverses. En demandant aux habitants de chanter une chanson de leur choix, chez eux ou dans un espace particulier de la cité, j’obtiendrai un mélange alliant des chansons traditionnelles de pays lointains, mélangé à du RnB, de la soul, du rap, de la variété française…
Je suis moi-même une habitante de La Maladrerie, c’est donc de l’intérieur que je construis mon film : je ne suis pas une étrangère mais une voisine. Je ne viens pas les observer, je vis avec eux et je fais un film avec eux. En choisissant les lieux et les chants, ils prennent un pouvoir sur le film, ils participent à leur propre mise en scène.
L’une des fonctions majeures du cinéma est de témoigner de son temps. Faire du cinéma, raconter des histoires est une belle façon de participer à la mémoire collective car les films représentent souvent l’album de famille de notre mémoire sociale. Aujourd’hui, sur la question fondamentale du vivre ensemble les cinéastes comme les décideurs politiques doivent prendre leurs responsabilités.