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Jeux de société
Pour commencer, une hypothèse : au cinéma, le sport est souvent davantage un prétexte qu'un véritable sujet "en soi". Si de nombreux films, fictions ou documentaires, le prennent pour thème central, rares sont ceux qui ont pour principal objet de se pencher sur ses techniques, son histoire, voire de se risquer à une véritable "esthétique". Tout se passe plutôt comme si le sport s'avérait un parfait véhicule pour parler d'autre chose que de sport, comme si, à travers tout ce qu'il implique (entraînement, compétition, victoire, défaite, sueur, tactique...), des enjeux plus essentiels finissaient par émerger.
Quatre documentaires du catalogue Images de la culture confirment cette règle. Les expériences sur lesquelles chacun d'eux se penche mettent en jeu des problématiques sociales qui vont bien au-delà des seuls enjeux sportifs (comment se pratique tel sport ? qui a remporté telle rencontre ?). Le sport n'y est pas une fin en soi, mais plutôt l'occasion de quelque chose de plus important : une façon de s'en sortir, une manière d'être accepté, l'occasion de "repartir à zéro".
jouer collectif
Dans La Surface de réparation, Maurice Ferlet s'intéresse ainsi au terrain de football pris comme espace de reconstruction, d'intégration, de "réparation". Les footballeurs qui participent au stage de Claude Orsatti, à Porto-Vecchio, ne sont pas des sportifs de haut niveau et ne visent pas une carrière professionnelle. Ce sont de jeunes chômeurs, au passé accidenté, apparemment sans avenir, et pour qui le sport va servir de rampe de lancement vers une vie nouvelle. À travers le jeu, les entraînements, la compétition, le respect des règles ou la lecture quotidienne de L'Équipe, les stagiaires n'apprennent pas seulement à jouer au foot, ils apprennent à s'intégrer dans un collectif, à prendre goût au travail, à respecter des consignes, à se dépasser. Et finalement, à "devenir eux-mêmes" comme le dit Orsatti. Le terrain de football dont il est ici question est donc une sorte de microcosme social, un laboratoire où les jeunes en formation se préparent, en jouant au football, à affronter le "vrai" terrain, celui qu'ils auront à fouler une fois les six mois de stage écoulés : le marché du travail, la collectivité, bref, la vie.
Déjà essentiel dans La Surface de réparation, le "collectif" est le maître-mot de XV garçons dans le vent de Marie-Ange Poyet, lequel, de façon emblématique, s'ouvre sur un plan d'ensemble de l'équipe à l'entraînement qu'exalte un mouvement musical d'Arthur Honegger. Le cadre sportif n'est plus celui d'un stage de formation et de socialisation mais celui, plus classique, d'un club, l'US Saint-Denis. Et pourtant, comme celle de Maurice Ferlet, la caméra de Poyet s'attache moins au sport en tant que tel qu'à ses vertus socialisantes, intégratrices et formatrices. Le rugby, pour Jean-Baptiste Gioux dit "Babar", entraîneur charismatique du club, est avant tout un sport collectif qui, plus que tout autre, permet "à tout le monde de trouver sa place". Et trouver sa place dans une équipe, c'est aussi trouver sa place dans la cité, c'est apprendre à être soudé, à canaliser son agressivité, à accepter les différences et les faiblesses des autres. Dans une banlieue parisienne réputée "difficile", le sport relaie les déficiences de la société ou de la famille et acquiert une vertu pédagogique essentielle. Les entraîneurs, comme le dit également Babar, y jouent davantage le rôle "d'éducateurs", et les sportifs trouvent dans le sport un peu plus qu'un jeu : une occasion de sortir de chez soi, une manière de s'en sortir, voire pour certains un avenir (le club offrant quelques emplois à ses anciens joueurs).
Il n'est donc pas surprenant que l'approche qu'adoptent ces deux films consiste à faire avant tout ressortir le groupe aux dépens de l'individu. Point de véritables "personnages" au sens fort, à l'exception peut-être des entraîneurs (Orsatti dans La Surface de réparation, Babar dans XV garçons dans le vent), figures tutélaires qui organisent la communauté, et qui se voient attribuer une place à part. Cette valorisation du collectif est d'ailleurs présente dans les autres films, et même, nous y reviendrons, lorsque ceux-ci prennent pour sujet un sport individuel.
La forme centrale autour de laquelle tous se retrouvent est le montage d'interviews des différents protagonistes, qui, à tour de rôle, donnent leur point de vue sur l'expérience sportive documentée. Ce que chacun de ces films semble ainsi chercher à capter à travers le sport, c'est toujours une polyphonie de groupe, la vie d'une micro-société. Le sport, tel que le documentaire le donne ici à voir, est avant tout une aventure collective.
gagner le respect
Comme dans XV garçons dans le vent, s'évader par le sport d'un quartier laissé à l'abandon est l'horizon des jeunes filles de l'équipe de foot de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, à laquelle se consacre Joue-la comme la vie. Une nouvelle fois, le sport se charge d'enjeux profonds, que Hubert Brunou cherche à révéler en jouant sur le rapport son-image. Le dispositif central sur lequel repose le film est le suivant : à l'écran, la caméra suit une joueuse sur le terrain, en plein match ou à l'entraînement, tandis que, en voix off, elle nous parle de sa vie de footballeuse et de ce que le sport lui apporte. Ainsi derrière la "surface", derrière la simple pratique sportive, affleurent des représentations et des motivations souterraines plus essentielles.
Pratiquer le foot, pour une fille de Montfermeil, n'est pas tout à fait (du moins pas encore) anodin. À travers les propos des joueuses de l'équipe, on sent qu'il se joue toujours quelque chose de l'ordre de la conquête d'une reconnaissance : affirmer que l'on peut à la fois être femme et footballeuse ; prouver sa valeur aux garçons de la cité, si possible en les battant sur leur propre terrain ; montrer aux autres que l'on peut vivre en Seine-Saint-Denis et ne pas être une "racaille".
De la même manière, à travers leur pratique de la boxe, les femmes de Not Only Men font bien plus que du sport. Elles s'approprient sans ménagement, comme l'analyse l'écrivaine Benoîte Groult, l'une des dernières "chasses gardées" de la domination masculine : la violence. Elles acceptent de prendre des coups et d'en donner, elles assument leur goût pour la "bagarre" (c'est le mot qu'emploie la multi-championne du monde Anne-Sophie Mathis), quitte à perdre aux yeux des hommes leur "féminité". Privilégiant cette dimension, Laure Belhassen et Éric Pinatel ont choisi de traiter la boxe féminine, sport on ne peut plus individuel, comme s'il s'agissait d'une aventure éminemment collective : une lutte aux accents fortement féministes. Il émerge de la ribambelle de boxeuses qui se succèdent à l'écran, quels que soient leur niveau, leur nationalité et leurs motivations, un véritable motif commun que résume parfaitement Marie-Lise Rovira, secrétaire générale de la Fédération française de Boxe : "La place d'une femme, c'est là où elle a envie d'être."
le sport comme conquête
C'est donc bien toujours d'appropriation et de conquête dont il est question dans ces films et même peut-être dans la plupart des films où le sport joue les premiers rôles. C'est par le sport que Buster Keaton cherchait à reconquérir sa promise dans Sportif par amour, par le sport que Rocky Balboa cherche à s'extraire de la pauvreté (Rocky de Sylvester Stallone) et par le sport que Mohamed Ali, qui a tant inspiré le cinéma (Muhammad Ali the Greatest de William Klein, When We Were Kings de Leon Gast, Ali de Michael Mann...), prit part à la lutte pour les droits civiques et au mouvement anti-Vietnam.
De la même manière, et quelles que soient leurs singularités, les quatre films mettent ici en avant davantage que le sport lui même, mais plutôt le combat d'ordre symbolique auquel il renvoie. Ce qui se passe sur le terrain fait toujours écho à ce qui se passe en dehors. Le terrain de foot ou de rugby, le ring de boxe, acquièrent une dimension bien éloignée de celle que leur donne habituellement les médias (résultats, argent...) : celle d'un espace politique miniature où conquérir à la sueur de son front droits et reconnaissance.
Damien Travade, décembre 2010.