En disant avoir eu "l’étrange privilège d’être né deux fois", l’écrivain et éditeur Jean Cayrol (1911-2005) désignait sa "seconde naissance", au printemps 1945, comme un retour d’entre les morts : arrêté pour faits de Résistance en 1942, puis incarcéré dix mois à la prison de Fresnes, Cayrol fut déporté à Mauthausen. L’expérience concentrationnaire allait déterminer toute son œuvre ultérieure et jusqu’à sa conception de la littérature.

Dès 1949, Cayrol en appelle à un renouvellement radical de l’art et de la littérature, et élabore la notion de romanesque "concentrationnaire" ou "lazaréen" dont les personnages, en référence à la figure évangélique de Lazare, sont aliénés par l’épreuve de la mort et, de ce fait, irrémédiablement séparés du monde. Pourtant, à rebours de cette solitude dévorante et sans issue à laquelle il se sentait lui-même condamné, Cayrol fera de sa vie un combat, en prise sur le monde. Pour évoquer cet homme tenace et discret, cet auteur prolixe (poésie, romans, nouvelles, essais) qui fut aussi un immense éditeur (au Seuil où il publia Barthes, Sollers, Guyotat, Roche, Decoin, Orsenna et bien d’autres), les réalisateurs de ce portrait ont composé avec les images des films qu’il a cosignés avec Claude Durand ou Alain Resnais. Et notamment Nuit et Brouillard (1956), ce "dispositif d’alerte" qui fit scandale lors de sa sortie avant de s’imposer comme un classique du cinéma documentaire.

(Myriam Bloedé)