En relatant son propre parcours de l’œuvre de Robbe-Grillet (1922-2008), Frédéric Compain offre un portrait complice de celui qui, surnommé Raspoutine à l’école, s’est toujours délecté à l’idée d’être exaspérant et "doit sa carrière à la haine". La lecture par l’écrivain de certaines de ses œuvres, des extraits de ses films, la visite de sa propriété en Normandie et un voyage à Ouessant (où il cherche un végétal ami d’enfance) complètent ce jeu tacite.

Où l’on apprend que cet ancien agronome, qui a commencé à écrire à 30 ans et a publié aux Éditions de Minuit, dont il est devenu conseiller littéraire, collectionne les cactées, fait des collages, aime travailler de ses mains, n’écrit jamais à la machine. Où l’on comprend que ses réflexions littéraires déclinées dans Pour un nouveau roman (1963), traduit en cinquante langues, ne constituent ni vérité ni mode d’emploi, mais, comme toute théorie, une spéculation permettant de voyager dans l’inconnu ou dans les zones incompréhensibles du monde. Où l’on conçoit que, comme dans l’ancien théâtre grec, il faut apprendre aux gens à se connaître eux-mêmes, à devenir soi-même le monstre de la mer visqueuse et effrayante, et à affronter l’étrangeté du monde jusqu’à l’angoisse. Où l’on entend que la structure du récit, ménageant l’apparition de nouveaux sens, prime sur les contenus anecdotiques, et que l’identification de l’auteur à chacun de ses livres fait partie de la conviction qui le porte.

(Christine Rheys)