מוציא לאור של הנכס
Un oeil sur les affaires des autres
C'est une histoire en miroir : au Maroc, une réalisatrice, célibataire, filme une femme, divorcée, qui filme des fêtes de mariages. La Femme à la caméra ne débouche pas sur une question de cinéma, mais sur des questions sociales : la place de la femme dans la société marocaine, l'évolution de cette société, les lois promulguées pour faire avancer les mentalités. Et puis renvoie à la position de la réalisatrice, dans un Maroc qui ne fait pas de place aux femmes cinéastes.
A Casablanca, une pratique est largement répandue dans les familles, celle d'engager des photographes, des vidéastes pour enregistrer les fêtes de mariages ou cérémonies privées afin qu'elles soient conservées sur DVD. Mais les familles dérangées par le regard subjectif des filmeurs, bien plus occupés à draguer, buvant trop, causant bagarres et jalousies, prompts aux réclamations, ont dû se rabattre sur les services des femmes pouvant accepter de travailler à n'importe quelles conditions : les divorcées en particulier. Les marieuses en ont tiré le meilleur profit, et leurs invitées ont de nouveau accepté de se rendre aux mariages. Ce travail confié à des femmes a même lancé une nouvelle tendance : un mariage s'organise maintenant autour de deux fêtes non mixtes, l'une filmée par une femme, l'autre par un homme.
Depuis 2004, une nouvelle loi protège l'acte de divorce demandé par les femmes. Elles sont de plus en plus nombreuses à le demander. Mais une femme divorcée est pratiquement obligée de retourner chez ses parents et de fait, placée sous la surveillance des membres de la famille et des voisins. C’est le cas de Khadija, héroïne de La Femme à la caméra, revenue au foyer familial avec son fils de 7 ans, Yassine, et qui se retrouve au cœur d’un violent paradoxe : grâce à son activité de filmeuse, de “chef d'entreprise”, elle devient aussi "soutien de famille" à qui on demande de régler le loyer car personne d’autre ne rapporte d’argent dans la maison. Mais rentrer tard, être dans la rue, côtoyer des hommes, faire des affaires... "ce n'est pas la place des femmes" lui reproche son frère qui refuse d'être filmé. Ça fait honte, pense sa mère déjà montrée du doigt. C’est tangible, Khadija et son fils sont à peine tolérés dans l’espace familial.
Karima Zoubir, armée de courage et de volonté, a réussi à boucler le financement de son premier film documentaire : "Au Maroc, on ne fait pas confiance aux femmes pour entrer dans le milieu du cinéma professionnel ou à la TV," confiait-elle sur Euromedaudiovisuel.net en 2013. Tout au long de la production il lui a fallu se bagarrer. Trois femmes composaient l'équipe de tournage pour rassurer famille et voisins. L’accord d'un tournage sur la durée n'a pas été facile à obtenir : la confiance était fragile, chacun avait bien compris que le sujet du film n’était pas seulement Khadija mais aussi la famille, son hypocrisie. Il lui a fallu encore ferrailler pour avoir l'autorisation des femmes présentes durant les fêtes : “Les gens ont toujours des arrière-pensées, ils s’imaginent qu’on va se servir de leur image." 1
Leurs deux situations sont finalement mises en regard, celle de la cinéaste qui a bravé les réticences de son milieu professionnel et celle de son héroïne privée de toute autonomie, qui affronte le conservatisme de la société. C'est un homme qui lui trouve ses contrats de travail, mais il ne peut s’empêcher de la conseiller sur la lumière, le son, sur son comportement avec les clients qu'elle ne doit pas faire attendre ; et s’il ne mentionne pas le nom de Khadija aux génériques des DVD, c’est pour éviter dit-il de rendre sa femme jalouse.
Pour l'héroïne de La Femme à la caméra et pour toutes les autres Khadija, c'est à force de courage, de ténacité et de résistance qu'elles réussissent à se construire un statut social, se font une place, au-delà des lois.
Le film terminé, Khadija a été émue en voyant son histoire et son image, mais elle ne souhaite pas que le film sorte sur les écrans.
Pour Karima Zoubir, il lui faudra encore user de persuasion pour que son film soit diffusé au Maroc, alors qu’il a été vu partout ailleurs dans les festivals.
A Khadija, il reste quelques amies pour l’écouter, essuyer ses pleurs, parler du bonheur et parfois trouver une solution, en commençant par sortir du quartier, aller à la mer avec son fils, jouer et courir sur la plage… Parce qu'un jour, un jour, les mentalités changeront.
Françoise Coupat (février 2017)