A la mort de Marguerite Duras en 1996, Les Cahiers du cinéma commande des textes à ses collaborateurs Bruno Nuytten et Benoît Jacquot. Dominique Auvray, qui a été la monteuse du Camion (1977), les fait dire par les comédiens Melvil Poupaud et Nahuel Perez Biscayart. S'y ajoutent des entretiens avec Duras, ou ses textes lus par Jeanne Balibar. Auvray retraverse ainsi, de façon durassienne, la relation paradoxale de l’écrivain au cinéma.

"Le texte seul est porteur infini d’images" dit Duras, qui s’est toujours sentie trahie par les adaptations de ses œuvres. Pour elle, le cinéma est une imagerie, une fermeture. L’écrivain cherche à faire entendre la parole dès son premier film, La Musica (1966). Nuytten la révèle à la recherche de toujours plus de dénuement : elle abandonne les images originellement prévues du Camion pour lire le scénario autour d’une table avec Gérard Depardieu. Le film fait scandale au Festival de Cannes et est qualifié d’anti-cinéma. "Elle a fait du cinéma contre le cinéma" confirme Jacquot, qui la compare à Francis Bacon car elle pratique "l’édification d’une figure en même temps que sa ruine". Après l’échec des Enfants (1986), la réalisatrice retournera à l’écrit en laissant une trace indélébile dans l’histoire du cinéma : "Chaque fois que vous verrez passer un camion, pensez que c’est une parole de femme qui passe" fera dire Godard au personnage de Sauve qui peut (la vie) (1979).

(Martin Drouot)