Le pont d’un cargo, la nuit, battu par les vagues. La voix d’une femme chante l’amour des marins. Sa langue est l’espagnol, est-elle chilienne ? De la fenêtre de sa chambre elle contemple le port et se souvient des amours passées, des hommes partis au loin pour ne plus revenir. Tandis que vogue l’immense cargo armé de ses conteneurs, un homme à son tour, en grec, raconte le rêve infini de la mer.

Prostituées et marins. Qu’est-ce qui les relient au-delà de leur rencontre éphémère dans un port du bout du monde ? Les femmes parlent des marins grecs qui partent en laissant derrière eux une "bombe d’amour" qui explose à retardement, les hommes parlent de l’infini de la mer comme d’un rêve qui les libère de toute attache terrestre. Le ventre du navire résonne de ces deux absolus : le désir éperdu de la femme pour celui qui ne reviendra jamais, la course éperdue du marin d’un bord à l’autre du monde. Embarquée sur un cargo dont l’équipage est composé de Grecs et de Philippins, l’artiste Evangelia Kranioti partage la vie quotidienne des marins, l’isolement et la somptueuse monotonie du voyage sur des mers australes couvertes de glace, les escales nocturnes et l’ivresse dans les bars interlopes d’Amérique du Sud. Son film, imprégné de la rude sensualité des corps et des machines, cherche à en dégager le mystère ou la mélodie, dans le sillage des récits et poèmes de Nikos Kavvadias.

(Sylvain Maestraggi)