Des ouvriers, parfois encore adolescents, quittent leur province du Yunnan pour aller travailler dans l’une des 18000 usines de textiles implantées à Huzhou, répondant aux sirènes du miracle économique chinois. Wang Bing accompagne dans leur quotidien ces femmes et hommes dont les illusions s’échouent sur la violence d’un capitalisme sauvage. Une fois arrivés, ils doivent en effet composer avec les cadences infernales, l’insalubrité des logements, les patrons sans foi ni loi.

Au départ, il y a le déracinement de cette jeune fille de 15 ans dont sa famille débat afin qu’elle rapporte de l’argent. D’autres comme elle prennent le train, déjà épuisés par le trajet qui les porte vers la promesse de cet Eldorado. La caméra capte le voyage que représente cet éloignement par des plans longs et l’impression de se fondre dans l’environnement. Le réalisateur saisit les enjeux intimes, tenant toujours la bonne distance, en suivant ses personnages dans leur quotidien : à l’usine, dans leur chambre, dans la rue. Émergent de précieuses confessions de solitude, la dureté des rapports sociaux, la misère dans laquelle les jettent les abus subséquents au droit du travail battu en brèche. Ce qui trouble, c’est sans doute la nécessité pour ces personnes de s’exprimer, à l’instar de cette femme nous interpelant : "Suis-moi" dit-elle, nous menant de nuit dans les ruelles voir le mari qui la rejette et la frappe sans qu’on en connaisse la raison. De ce réel, Wang Bing révèle les affres de la dérégulation économique qui empêchent toute cohésion sociale, en incriminant un système moins que les individus.

(Joffrey Speno)