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C’est ce cinéma-là que j’ai envie de défendre

C’est ce cinéma-là que j’ai envie de défendre
Cécile Vacheret travaille en tant que productrice et distributrice pour différentes sociétés. En parallèle, elle a créé Sedna Films en 2005 et produit des documentaires ou des courts métrages, tel le remarqué Entracte de Yann Gonzalez (2007). Entretien à propos des deux films d’Emmanuel Vernières qu’elle a produits : Paul Vecchiali, en diagonales et Françoise Lebrun, les voies singulières.

Comment est née la société Sedna Films ?

J’ai créé Sedna Films il y a trois ans pour le précédent film d’Emmanuel Vernières, Paul Vecchiali, en diagonales. Je connaissais bien Emmanuel, j’avais travaillé avec lui dans d’autres circonstances – lui comme attaché de presse et moi comme distributrice. Quand il m’a dit son envie de faire un film sur Vecchiali, j’ai dit oui tout de suite. Bruno Deloye de Ciné Cinéma nous a immédiatement suivis alors qu’Emmanuel n’avait fait qu’un court dix ans auparavant. C’est ce qui nous a donné l’impulsion de monter cette structure. Cela faisait un moment que je m’occupais de la production et de la distribution, mais ce n’est pas la même chose d’avoir sa propre société, cela permet de prendre des risques qu’on ne peut pas prendre pour les autres. Pour moi, il était important de faire ce film sur Paul Vecchiali, pour son cinéma, mais aussi politiquement. Derrière ce film, il y avait l’idée de transmettre son message sur le cinéma.

 

Françoise Lebrun et Paul Vecchiali sont des personnalités à part dans le cinéma français. Aviez-vous la volonté de donner la parole à des artistes qui ne l’ont pas souvent ?

C’est surtout ma famille de cinéma. C’est celle d’Emmanuel Vernières avant tout, mais c’est la mienne aussi. Je suis consciente que ce cinéma est à la marge, et j’aime toute sorte de cinéma, mais c’est ce cinéma-là que j’ai envie de défendre. La notion de transmission, d’héritage, était importante. Le danger, c’était de faire des films hommages. Dans les deux cas, ce sont des artistes qui ont l’essentiel de leur carrière derrière eux. Ils ont immédiatement accepté l’idée d’un film sur eux, puis il y a eu une période de doute, car Paul Vecchiali comme Françoise Lebrun avaient conscience – et peur – de cet aspect-là. Cela s’est résolu quand ils ont vu les films finis, et qu’ils les ont aimés.

 

On sent dans les images une proximité du réalisateur avec ses modèles.

Il se trouve que le film sur Françoise Lebrun s’est tourné sur une longue durée, en plusieurs étapes, et donc que l’image du film a été faite par plusieurs opérateurs. Au final, il y avait beaucoup d’images, mais celles qui sont restées, principalement, sont celles tournées par le réalisateur lui-même. Et c’est normal : il connaissait son sujet, il avait le juste point de vue. Une personne importante dans la fabrication du film a été la monteuse Andrée Daventure. On l’a choisie tous les deux avec Emmanuel, car en plus d’être une grande monteuse, c’est une grande amoureuse du cinéma, en particulier du cinéma de recherche. Elle aussi pensait que faire ces films était crucial.

 

Les deux films ont des styles différents. Alors que le film sur Paul Vecchiali est composé d’une seule interview et de nombreux extraits, celui sur Françoise Lebrun la montre essentiellement au travail. Avez-vous longuement discuté de ce choix formel avec le réalisateur ?

Oui, on parle beaucoup du style du film. Quand  il m’a dit qu’il voulait faire une interview de Paul Vecchiali, j’ai dit oui, très bien. Je le connaissais un peu et savais qu’il était passionnant à écouter. C’est d’ailleurs en faisant ce film qu’Emmanuel s’est rapproché de Françoise Lebrun. Pour Françoise Lebrun, les voies singulières, il avait dès le début la volonté de montrer la comédienne au travail. Je l’ai encouragé à ce que, contrairement au film sur Vecchiali, il y ait des interventions extérieures afin de donner le portrait le plus complexe possible (Vincent Dieutre, Claudine Galea, Marcial Di Fonzo Bo).

 

Le film débute par une évocation de La Maman et la Putain, mais n’en montre pas d’extraits. Pourquoi ?

La Maman et la Putain [1973] est une découverte essentielle de jeunesse pour Emmanuel comme pour moi. Le film d’Eustache a beaucoup compté. Classiquement, on aurait voulu un ou deux extraits, notamment le monologue. On a essayé d’en avoir, sans succès, pendant un an. C’était un obstacle de production majeur. On a donc cherché dans les archives de l’INA, et on a utilisé les archives personnelles de Françoise Lebrun. La contrainte est devenue une force.

 

S’il n’y a pas d’extraits du film d’Eustache, il y a une citation sonore et des photos. Cela donne au film un statut iconique, comme un endroit interdit dont on n’aurait que l’envers. L’envers, c’est l’actrice qui poursuit ses voies singulières au cinéma, mais aussi au théâtre et à la radio ?

Dès le départ, Emmanuel voulait faire un film sur sa fascination pour Françoise Lebrun aujourd’hui, pas sur La Maman et la Putain. Cela voulait dire faire un film sur comment un rôle peut marquer une carrière, mais aussi aller au-delà. Le souhait du réalisateur était de sortir Françoise Lebrun de son image, de ce personnage. Ce qui a été un vrai problème en termes de production, car la plupart des gens s’attendaient à un film sur Françoise Lebrun comme interprète d’Eustache. C’est un débat qu’on a eu tout le temps, avec les autres et même entre nous. Quelle est la distance à prendre par rapport à ce rôle ?

 

Du fait de cette attente non comblée, la production de ce film a-t-elle été plus difficile que celle de Paul Vecchiali, en diagonales ?

Oui. Autant la production du Paul Vecchiali s’est plutôt bien passée pour un premier documentaire et le premier film d’une société, autant celui-ci a été difficile à produire. Pour le précédent, on a eu l’aide de Ciné Cinéma, mais aussi celles du COSIP au CNC et de la Région PACA. Pour Françoise Lebrun, l’idée était d’avoir le même type de production. On avait donc déjà le préachat de Ciné Cinéma, et on a obtenu l’aide de la région Pays-de-la-Loire. Par contre, on n’a pas eu le COSIP, qui a considéré que ce projet déjà écrit autour du langage, de la radio, du théâtre, n’était pas le bon pour cette comédienne. Ce manque a été un problème important. Beaucoup de producteurs se seraient sans doute dit : on n’a pas le COSIP, on ne fait pas le film. J’ai essayé de compenser tant bien que mal. Les archives de l’INA étaient chères, mais en dehors de ça, les producteurs et les ayants droit ont été assez compréhensifs pour les extraits. Jacques Le Glou, producteur des films de Vecchiali, a été d’une aide précieuse. On a donc tourné et monté dans la plus petite économie possible. Le fait que le film soit acheté par le CNC pour le catalogue Images de la culture compense aussi l’argent dépensé qu’on n’avait pas.

 

Avez-vous pensé à donner une autre vie à ces films ? Les imaginez-vous en bonus de DVD par exemple ?

Cela a failli se faire pour le film sur Vecchiali, mais on n’a pas réussi à se mettre d’accord. Ce sont des films à part entière, sur lesquels on passe beaucoup de temps. Un bonus DVD peut être très bien, ce n’est pas la question, mais je ne voulais pas que le film soit un bonus perdu parmi tant d’autres. Par contre, les sortir dans une collection de portraits, volontiers ! Emmanuel Vernières fait également des bonus DVD, et ce n’est pas du tout la même démarche que quand il fait ses documentaires.

 

Quels sont vos nouveaux projets ? Seriez-vous tentée par d’autres documentaires sur le cinéma ?

Je trouve formidable de faire des films sur les cinéastes et j’en referai. Pour l’instant, Emmanuel a envie de passer à autre chose, sortir un peu de cette famille. Quant à moi, je viens de finir en tant que productrice exécutive le prochain moyen métrage de Yann Gonzalez, un court métrage de Julien Donada et un documentaire sur la transmission culinaire. J’ai deux autres documentaires en cours de financement, des films très personnels, et plusieurs autres films en développement. Mais je m’occupe de peu de films à la fois, parce que je passe beaucoup de temps avec chaque réalisateur et que je laisse beaucoup de temps au montage : je ne lâche pas tant que je ne trouve pas ça bien. Cela veut dire que je dois vraiment avoir un coup de cœur pour produire un film. J’essaie de faire les films qui me paraissent essentiels. Je n’ai pas vraiment de ligne éditoriale, mais j’aime voir une cohérence a posteriori. Par exemple, le monologue d’Entracte, lorsque le film a été présenté au Festival de Clermont-Ferrand cette année, a été comparé à celui de Françoise Lebrun dans La Maman et la Putain. Or, avec Françoise Lebrun, les voies singulières, ce sont les deux films que j’ai produits en 2007 !

 

Propos recueillis par Martin Drouot, mars 2008.

 

 

Paul Vecchiali, en diagonales 

 

 

 

Paul Vecchiali, en diagonales 

 

 

 

Paul Vecchiali, en diagonales 

 

 

 

Françoise Lebrun, les voies singulières

 

 

 

Françoise Lebrun, les voies singulières

 

 

 

Françoise Lebrun, les voies singulières