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Trève

Trève
Soirée foot à Istanbul. Dans le court métrage d’Elise Boutié et Nakita Lameiras Ah-Kite, Onside, les femmes ont exceptionnellement remplacé les hommes dans les tribunes du stade.

Une foule dense et d’abord indistincte se dirige vers le stade, au son des cornes et des klaxons. Ce soir, la caméra reste rivée sur le public ; pour elle, le match n’est plus qu’un enjeu lointain. Ce qui est proche, ce sont les visages des femmes qui apparaissent progressivement à l’image et se pressent pour entrer, laissant là les hommes en plan, privés de fête.

La communauté des femmes dans sa grande diversité occupe donc les tribunes d’ordinaire dévolues à leurs maris et à leurs grands frères. Onside, ce soir, elles “font partie du jeu”. Elles arrangent le voile sous leur chapeau à clochettes, retirent leur gilet au profit du maillot rayé, ajoutent un cordon tressé dans leurs cheveux, mangent frénétiquement des pipas. Pour l’occasion, elles sont autorisées à être au stade les supportrices chevronnées qu’elles sont d’habitude devant leur poste de télé, comme porte à le croire la ferveur de leur présence et leur fine connaissance du texte. N’en déplaise aux hooligans hors-jeu ainsi qu’à ceux des hommes que navre la “mascarade”, elles collent parfaitement à leur rôle. Entre tubes internationaux et fête traditionnelle, l’enthousiasme que les femmes mettent à chanter pour leur équipe, dessine aussi un portrait de la Turquie.

Contrechamps et plans parallèles font bouger les lignes. Hymnes, slogans ou gestes communs aux fans des deux sexes prennent ce soir-là des allures de sérénade. Portée par la voix des jeunes filles, la passion du sport devient amoureuse. Deux faces d’une même médaille : l’éviction des uns autorise l’émancipation des autres. Sous l’œil de quelques mères inquiètes, les émotions se libèrent et les visages absorbés racontent le match : ils ne quittent le terrain des yeux qu’illuminés par des cris de joie. Elles sont belles, nous les regardons... Leurs parents les verront peut-être à la télévision. Dans l’expression de telle petite fille, on croit reconnaître la plus jeune et la plus déterminée des sœurs de Mustang, le film de Deniz Gamze Ergüven. Elle nous rappelle leur épopée hors de la maison où elles étaient bouclées, afin d’assister au match à tout prix.

Sur le chemin du retour à la normalité, soit un flot de femmes et d’enfants qui descendent les marches, la grande finesse du montage fait discrètement apparaître une figure androgyne. Elle nous regarde maintenant que le match est terminé. Ce pourrait être un homme, mais c’est bien une femme lorsqu’elle détourne la tête. Toute l’ambigüité subtile du film se retrouve dans ce dernier plan.

Charlotte Ferchaud (février 2017)