Nalan Türkeli, marchande ambulante, la quarantaine, deux enfants adolescents, vit dans un bidonville des faubourgs d'Istanbul. Dépourvue de toute éducation et de tout moyen matériel, elle a pourtant éprouvé un jour le désir de tenir un journal et de le faire publier coûte que coûte. Avec pour seul commentaire des extraits du livre lus en off, Evelyne Ragot restitue en images la dure réalité de cette femme lucide, qui garde espoir malgré tout.

"Notre vie est moche, mais tout le monde préfère rester masqué." Nalan Türkeli, elle, a décidé de parler à visage découvert, de décrire sa condition de femme et de mère, de dénoncer la débrouille quotidienne, le système mafieux qui régit tout. En pleine campagne municipale, les convois bardés de haut-parleurs sillonnent ce quartier sans route, où les maisons ont poussé à flanc de colline en une nuit, sans autorisation. Les hommes sont entre eux au café, à jouer aux cartes et à discuter politique avec des candidats qui promettent bithume, viabilité et nourriture pour tout le monde. Le mari de Nalan est sans doute parmi eux, nous le verrons à peine. Les deux enfants vivent du trafic de pigeons en évitant les bagarres au couteau. Le plus grand règne en maître dans la maison ; sans vraiment faire illusion, il dit être fier que sa mère soit écrivain, mais reconnaît ne pas l'avoir lue : "Je cherche à travailler dans la mafia, si on me le propose, j'irai tout de suite." 

(Nathalie Magnan)