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Regards pluriels sur l’œuvre d’Auguste Perret

Regards pluriels sur l’œuvre d’Auguste Perret
Auguste Perret (1874-1954) mérite plus qu’un hommage. Cet architecte urbaniste a incarné au XXe siècle une profonde révolution architecturale en France et il a accompagné la naissance du Mouvement moderne. Tandis que Le Corbusier marquait les esprits par ses réalisations et ses écrits, avant lui Perret, prônant le banal, avait magnifiquement, et plus discrètement, introduit le béton en France. Parcours en suivant trois films du catalogue Images de la culture.

Auguste Perret a su hisser le béton au rang de noblesse en le laissant apparent, jouant de ses diverses textures et modénatures. Des façades composées de panneaux ajustables, sans décor, aux terrasses qui recouvrent systématiquement ses immeubles. Il a su créer des ensembles qui échappent à la monotonie par le jeu diversifié de volumes, les ruptures d’alignement, les étages en retrait, les balcons, les variations de texture et de couleur du béton. Brut, recouvert de feuilles de bronze ou encore “béton-pierre”, sans cesse, il exprime la granulométrie de ce matériau alors nouveau et joue des minéraux inclus pour lui donner une tonalité colorimétrique. Du premier immeuble art déco de la rue Franklin à Paris (1903), exhibant structure et parement en florescence emmêlés, à la reconstruction du Havre (1951-1956) dont il ne verra pas l’achèvement, en passant par le théâtre des Champs Elysées (1913) et Notre-Dame du Raincy (1922-1923), Perret a fait de cette pierre coulée une ode à la nature et à l’architecture. Auprès du grand public, son œuvre la plus connue demeure la reconstruction du centre ville du Havre. Réalisation souvent décriée, car trop minérale, ouverte aux quatre vents. Il a fallu attendre l’inscription au Patrimoine mondial par l’UNESCO pour reconnaître le génie de cette composition, de sa trame urbaine jusqu’aux intérieurs de ses appartements.

Plusieurs films œuvrent, de diverses manières, afin de restaurer la mémoire de ce concepteur hors pair, petit homme qui “marchait comme un monument” – monument qu’il est d’ailleurs dans l’histoire de l’architecture moderne. Réalisé par Françoise Poulin-Jacob Je vous écris du Havre propose un parcours des composantes havraises, narration qui puise au cœur de la mémoire des lieux. La structure alterne plans actuels et cartes postales d’époque. C’est une immersion dans la fabrication de la ville, incluant l’activité de son port, son ouverture vers le large et sa reconstruction. Les vestiges du tracé de la ville ancienne sont exprimés, fouilles archéologiques contemporaines qui superposent ancien et moderne. La patte de Perret est bien entendu soulignée, avec l’attention attendue vis-à-vis des habitants, déboussolés par cette refonte de leur ville après le bombardement ; ainsi, en conservant les noms des rues par exemple – “Il fallait bien leur laisser quelques repères aux Havrais”, commente la réalisatrice. “Chacun y aura sa place au soleil”, dit-elle encore par la voix de sa narratrice, à propos de la base carrée de 6,24 mètres inventée par Perret pour créer rues, places, îlots et immeubles – un vœu pieu dans une ville que l’on sait balayée par les vents et les ondées maritimes !

Du macro au micro, cette invitation au voyage dans l’œuvre magistrale de Perret explore autant la ville que la cellule d’habitation, remarquable d’ingéniosité tant spatiale que technique. La visite de l’appartement témoin, avec tout le confort moderne et ses surfaces optimales (mieux que les logements sociaux actuels !), permet de prendre la mesure du luxe offert par son concepteur à cette époque en disposant eau chaude et chauffage à tous les étages. Appartement témoin que l’on retrouve – élément incontournable pour une visite du Havre – dans le film de Matthieu Simon et Marie Gaimard, La Réponse de l’architecte – Les Intérieurs chez Auguste Perret. Augmenté des visites d’autres habitations conçues par Perret, ce film nous ouvre les portes de plusieurs opérations du maître, commentées par les témoignages d’habitants croisés avec ceux d’historiens et de médiateurs locaux consacrés au patrimoine Perret. Véritable passe-muraille, la caméra glisse dans les pièces des logements du Havre, comme dans ceux de la tour d’Amiens ou encore dans des réalisations antérieures à Paris, où elle souligne la flexibilité de ces “abris où il fait bon vivre”. 

 

 

Les pleins et déliés de l’architecture de Perret sont ici explorés. S’immisçant dans ces espaces intimes, les travellings – que l’on souhaiterait encore plus lents – révèlent des systèmes ingénieux, les dispositifs mobiles qui proposent une réelle flexibilité des usages. Les commentaires des occupants les corroborent, et les spécialistes apportent une dimension supplémentaire à l’analyse, savante, de ces architectures déjà centenaires pour certaines. Un regret cependant : les réalisateurs passent d’un projet à l’autre en rebondissant sur les témoignages, et ils auraient pu donner à voir de l’ensemble au détail, des cadrages plus serrés sur la matière, sur la lumière, sur les articulations spatiales et les subtils assemblages de structure et de parement de ce bâtisseur, puisque intérieur et extérieur dialoguent sans rupture pour Perret. Lequel disait : “Le dépouillement, le refus du superflu, la clarté d’expression sont les éléments essentiels de la grandeur.”

Cette articulation entre intérieur et extérieur, c’est le parti pris par le documentaire de Juliette Garcias sur Notre-Dame de la Réconciliation au Raincy. La réalisatrice articule son propos visuel sur les composantes essentielles de l’architecture de Perret et s’adresse aussi bien au néophyte qu’au spécialiste, grâce à la consultation des spécialistes que sont Olivier Cinqualbre, conservateur es Architecture au Centre Pompidou, et Joseph Abram, coauteur de l’Encyclopédie Perret, une somme qui fait référence sur l’homme-bâtisseur 1. Pour ce faire, l’œil caresse le béton minéral, palpe sa rugosité ou sa douceur, selon le traitement. Les images nous dévoilent l’inaccessible par des travellings verticaux et accèdent au toit comme à la flèche de cet ouvrage remarquable. La structure narrative illustrée de plans séquences, d’allers-retours entre l’édifice et sa reproduction à échelle réduite, livre les tenants et les aboutissants de l’ouvrage. Elle rend cristalline la conception de Perret ainsi que ses intentions, sans perdre de vue les autres acteurs de cette construction : maître d’ouvrage, artiste, etc. Le film rend préhensible le volume, la matière, la dimension à la fois lumineuse et sonore des lieux investis. Plus largement, il permet de saisir la teneur du geste de l’auteur et la profondeur de sa pensée. Celle d’un architecte pour qui “une bonne architecture, est une architecture qui fait de belles ruines”. Pour Perret, la verticale incarnait l’action, la posture en réflexion. En témoigne son buste réalisé par Bourdelle, dont la posture, droite et fière comme ses édifices, représente bien l’état d’esprit de ce bâtisseur.

 

Rafaël Magrou (décembre 2012)

 

 

1 Encyclopédie Perret, dirigée par Jean-Louis Cohen, Guy Lambert et Joseph Abram, coédition Monum/éd. du Patrimoine/IFA/Le Moniteur, 2002.