Dans l’enceinte lumineuse du musée d’Orsay, Sandra Kogut propose aux visiteurs, touristes néophytes ou fidèles des lieux, de poser entre sa caméra et leur œuvre favorite. Au fil des pérégrinations, les errants, égarés ou amateurs d’art se livrent, et les rencontres se révèlent peu à peu comme les prétextes à une savoureuse radiographie de la population muséale et de ses habitudes.

Une jeune fille recherche désespérément cette toile où "une caravane avance vers nous", et ne la trouvera jamais. Un homme s’émeut aux larmes devant une sculpture de Camille Claudel. Trois adolescents lorgnent plutôt du côté des femmes dévêtues dans la peinture. Une visiteuse se remémore le temps où elle dansait avec les bidasses dans le restaurant de la gare. Un homme n’observe que les chaussures et les démarches qui en découlent : "Ne filmez que ça et vous comprendrez tout !" Un artiste dépose au pied des Cézanne ses propres natures mortes "pour voir si elles tiennent le coup". Tous, pris au cœur de la fourmilière, confessent peu à peu leur vision du monde et des autres. Ils jaugent, jugent, témoignent pour leurs congénères d’une extrême tendresse ou d’un mépris suprême. Reporter humaniste, proche d’un Tati ou d’un Doisneau, Sandra Kogut suit ces individus aux histoires variées, ponctuant ce document édifiant d’images d’une drôlerie surréaliste.

(Pierre Notte)