Paris-Portugal, 1500 kms. Cheminant à rebours de son histoire d’immigré (La Photo déchirée, Drôle de Mai, Les Emigrés), José Vieira emprunte l’autoroute des souvenirs troués de l’enfance, des déchirures de l’exil. Il a eu sept ans sur le quai de la gare d’Austerlitz, il faisait froid, le bidonville était boueux, son père s’échinait sur les chantiers. Nul ne se doutait pas qu’en s’arrachant à la misère et l’ignorance d’une campagne arriérée, on laisserait filer comme sable un trésor mental.

Les Portugais des années 1960 payaient cher leur rêve d’une vie meilleure. Habités d’un même espoir, des Africains se cognent aujourd’hui aux murailles de l’Europe. Des échos de leurs assauts désespérés passent aux infos tandis que la voiture file sur l’autoroute. Autrefois, la route des vacances passait par la nationale, on fredonnait avec l’autoradio des tubes optimistes, le petit José se voyait déjà au bord de la rivière avec ses cousins. Après seize ans sur les chantiers parisiens, son père a quitté ses habits d’immigré, il est rentré. José est resté. Il a une fille de 5 ans à qui il voudrait léguer une mémoire portugaise mais le grand-père est fourbu, le champ de foire désert, la plage noyée sous un lac de barrage. La bande son fait entendre la collision des époques. Les images s’entremêlent, pellicules d’autrefois, vidéos d’aujourd’hui. L’immigré croit aller vers son avenir, son passé le rattrape et le laisse couturé de cicatrices.

(Eva Segal)