En 1904, l’Etat grec décide d’enfermer les lépreux sur l’île de Spinalonga, au large de la Crête. Quand, en 1956, ils sont libérés et transférés dans une station de transit à Athènes, les malades refusent d’en sortir. A partir d’images de l’île et d’une série de portraits, Jean-Daniel Pollet livre une méditation sur l’ordre symbolique, social et architectural qui a décidé du sort de ces individus.

Avec Méditerranée (1963) et Bassae (1964), L’Ordre compose un triptyque où la splendeur de la civilisation est travaillée par la question de la mort. Le visage d’Epaminondas Remoundakis, abîmé par la lèpre, rappelle celui des statues antiques dévorées par le temps. Ce visage, comme le sourire du sphinx dans Méditerranée, nous adresse une énigme. Pas seulement celle de la cruauté des hommes les uns envers les autres, mais celle, surtout, de la solitude face au destin. Réalisé en collaboration avec l’anthropologue Maurice Born qui étudiait alors les phénomènes d’exclusion, le film arpente inlassablement les lieux d’enfermement - couloirs, fortifications - pour chercher à comprendre la souffrance de ceux qui butèrent contre ces murs. Sans oublier de leur donner la parole. A travers leurs récits se dévoile l’arbitraire de l’ordre qui, sous le soleil lumineux de la Méditerranée, a choisi d’écarter ceux qui portent sur leur visage le signe d’une solitude essentielle.  

(Sylvain Maestraggi)