Sisältöjulkaisija
2011 : état des lieux sur la place de l’image en milieu pénitentiaire
En 1985, le Garde des sceaux Robert Badinter fait entrer la télévision dans les cellules des personnes détenues. Elle existait déjà dans le cadre des salles collectives.
Concomitamment, la réflexion et la mise en place de programmes culturels, notamment dans le domaine de l’image animée, est impulsée par le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de la Justice et des Libertés, impulsion matérialisée par la signature d’un premier protocole d’accord en 1986.
Dès lors, des actions d’éducation à l’image vont être proposées aux personnes placées sous main de justice en lien avec les dispositifs de droit commun. Des centres de ressources audiovisuelles sont notamment créés, à partir desquels des films vont être réalisés qui interrogent la problématique de l’image en prison. Nous pouvons citer deux références en la matière : De jour comme de nuit, documentaire de Renaud Victor tourné en 1991 au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, et les réalisations d’Alain Moreau, prélude aux ateliers de création audiovisuelle à la maison d’arrêt de Paris-La Santé.
Participer à un projet dans le domaine de l’image animée – tous les projets réalisés en milieu pénitentiaire en témoignent – c’est d’abord vivre une expérience collective en participant à un tournage de film, à des rencontres avec des cinéastes, à des débats. Mais c’est aussi une aventure individuelle que de regarder un film, en se confrontant avec le point de vue d’un réalisateur. C’est aussi envisager un autre rapport au monde qui nous entoure, développer son esprit critique, se construire un jugement, un point de vue.
Ces actions s’inscrivent pour l’administration pénitentiaire dans une perspective de réinsertion. Elles représentent souvent un temps utile qui permet à la personne détenue de se ré-envisager comme partie prenante de la société qu’elle rejoindra lorsque sa peine sera achevée. Elles sont également un territoire où l’expression, l’échange et l’apprentissage des règles qui préludent à toute création sont rendus possibles. Elles apportent des éléments de réflexion et de compréhension qui permettent d’aborder le délit, la sanction et la vie en société avec de nouvelles clés de lecture.
La réinsertion est aussi une affaire de réconciliation entre le dedans et le dehors, entre soi et l’autre, entre la personne détenue et la société. Et ces projets audiovisuels et cinématographiques participent pleinement au développement des liens entre le dedans et le dehors. Il s’agit bien de modifier les représentations de la prison et de la personne détenue, de déplacer le point de vue et de réduire la distance entre la prison et la Cité.
Toute pratique culturelle en prison s’élabore à partir d’un faisceau d’enjeux, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’image. Le fait d’accepter de s’inscrire dans le cadre d’un projet dans le domaine de l’image représente déjà une prise de risque : par rapport à soi-même, par rapport à ses codétenus, par rapport à la société en donnant à voir son image, une image que l’on reconstruit.
quels projets aujourd’hui ?
De nombreux projets sont aujourd’hui développés dans le domaine de l’image animée. On peut distinguer plusieurs typologies d’actions.
Les ateliers qui ont pour objectifs de sensibiliser les personnes détenues à l’image dans toutes ses composantes, afin qu’elles puissent les analyser, porter un autre regard sur ce média et développer leur point de vue critique. Ces actions visent à démocratiser l’accès aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles, aux langages et aux pratiques, et à s’approprier l’image en tant que telle. On peut citer notamment l’atelier d’éducation à l’image mené au centre pénitentiaire de Béziers par la Fédération des ciné-clubs de la Méditerranée, l’atelier de sociologie de l’image conduit à la maison d’arrêt de Limoges, les projets développés par le cinéma Le France à Saint-Etienne, ou encore ceux proposés par l’association Les 2 Maisons à la maison d’arrêt de Grenoble et au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier. L’association Les Yeux de l’Ouïe mène depuis maintenant de nombreuses années des ateliers d’éducation à l’image au sein des maisons d’arrêt de Paris-La Santé et de Metz. Parmi ceux-ci, Si seulement..., un cycle de programmation de films élaboré par les membres de l’atelier En quête d’autres regards, depuis la prison de Paris-La Santé vers le cinéma MK2 Beaubourg. Chaque projection est suivie de courts-métrages – la mise en forme des regards portés sur le film – réalisés par les participants à l’atelier. A l’issue de chaque séance, une discussion autour des films est ouverte avec le public dans la salle et celle-ci est filmée pour revenir à la prison.
Les ateliers de pratique artistique qui donnent l’occasion aux personnes placées sous main de justice de s’expérimenter à la création. Ces ateliers reposent sur l’implication des bénéficiaires. On peut citer le travail mené par l’association Les Yeux grands ouverts au centre de détention de Mauzac ou celui du Cercle audiovisuel par l’association Artenréel à la maison d’arrêt de Strasbourg.
Les ateliers d’écriture et de création partagée où, sur la base de la proposition d’un artiste, les personnes détenues font l’expérience collective et/ou participative de l’art. On peut citer le projet d’atelier de création partagée (théâtre/cinéma) actuellement mené par Lieux Fictifs à Marseille, ou l’atelier d’écriture qui avait été mené à la centrale de Clairvaux avec le compositeur Thierry Machuel (Or, les murs, de Julien Sallé).
Il s’agit bien là de faire du cinéma en prison et non pas du cinéma sur la prison, de donner l’opportunité aux personnes placées sous main de justice de faire l’expérience du cinéma. C’est à dire l’expérience de l’image de soi et de celle des autres. Il s’agit aussi de s’interroger sur les images que l’on fabrique et sur ce qu’elles produisent.
En lien avec des professionnels de l’image, des films documentaires ou de fictions sont aussi proposés, que ce soit en salle collective ou sur le canal vidéo interne des établissements pénitentiaires. Ils donnent souvent lieu à des débats en présence des réalisateurs des œuvres projetées. À titre d’exemple à Angoulême, dans le cadre du partenariat entre le Festival du film francophone et la maison d’arrêt, trente personnes détenues ont assisté en août dernier à des projections. On peut aussi citer l’action menée depuis plusieurs années par Ciné-Passion en Périgord dans les centres de détention de Neuvic et de Mauzac.
Afin de renforcer le lien dedans-dehors, des films réalisés en milieu pénitentiaire sont régulièrement programmés dans différents festivals. Ils sont parfois suivis de débats avec des personnes détenues qui bénéficient pour l’occasion de permissions de sortir. De même, celles-ci peuvent faire partie de jurys de festivals où l’occasion leur est donnée de développer leur esprit critique et d’exercer leur libre arbitre. A titre d’exemple, pour la quinzième édition du festival Résistances, en partenariat avec l’association Regard nomade, des personnes détenues de la maison d’arrêt de Foix se sont portées volontaires comme membres d’un des jurys, et deux ayant obtenu une permission de sortir ont assisté à la projection du film documentaire Touentou fille du feu, de Patrick Profit. Pour la vingt-deuxième édition du FID-Marseille cette année, un nouveau prix, le prix Renaud-Victor, a été décerné en partenariat avec le centre pénitentiaire des Baumettes, Lieux Fictifs et le CNC. Ce prix sera reconduit d’année en année 1.
Les partenariats entre les festivals et les établissements pénitentiaires se sont d'ailleurs considérablement multipliés. Citons encore celui entre le Festival régional et international du film de guadeloupe et les établissements pénitentiaires de l'île, celui, de longue date, entre le Festival international du film de la Rochelle et la maison centrale de Saint-martin-de-Ré, ou encore celui entre la maison d'arrêt de Gradignan et le Festival international du film d'histoire de Pessac.
Plusieurs établissements pénitentiaires s'inscrivent au sein de dispositifs initiés et soutenus par le CNC. C'est le cas de la maison d'arrêt de Dijon et des centres pénitentiaires de Poitiers-Vivonne et de Saint-Denis de la Réunion qui participent à Passeurs d'Images2. Ce partenariat se traduit par la réalisation de films, d'ateliers d'éducation à l'image ou de rencontres avec des professionnels. Par ailleurs, des établissements pénitentiaires participent régulièrement au Mois du film documentaire3.
Enfin, on peut citer la réalisation de projets novateurs. En août dernier, un web-documentaire a été réalisé par les personnes détenues des établissements pénitentiaires de Maubeuge et de Bapaume en Nord-Pas-de-Calais, avec l’appui de l’association Hors Cadre.
quelle visibilité pour les films réalisés en milieu pénitentiaire ?
Malgré des diffusions ponctuelles en festivals, peu de films tournés en milieu pénitentiaire –films issus d’ateliers ou documentaires de création réalisés par des cinéastes après de longues enquêtes – font l’objet d’une diffusion en salles de cinéma ou sur les chaînes de télévision (hormis les reportages). Les auteurs de ces films doivent souvent vaincre de nombreuses résistances avant d’obtenir l’autorisation que leur œuvre soit diffusée à l’extérieur. Seuls quelques films ont pour l’instant échappé à la règle. On peut citer Les Vidéo Lettres sous la direction d’Alain Moreau, Sans elle(s) sous la direction d’Anne Toussaint, l’ensemble des films réalisés par Lieux Fictifs et notamment 9 m2 pour deux diffusé sur Arte ; ou encore le documentaire La Récidive en question, réalisé par Patrick Viron à la maison d’arrêt de Saint-Etienne et diffusé sur des chaînes de la région Rhône-Alpes, et celui de Catherine Rechard, Une Prison dans la ville, diffusé sur France 3 Normandie.
On ne peut évoquer les projets développés dans le domaine de l’image en direction des personnes placées sous main de justice sans évoquer la question du droit à l’image. La loi du 24 novembre 2009 donne la possibilité aux personnes détenues de pouvoir apparaître à visage découvert, si elles le souhaitent et si elles l’ont précédemment consenti par écrit. L’administration pénitentiaire peut s’y opposer, uniquement si cela “s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion de la personne concernée. Pour les prévenus, la diffusion et l'utilisation de leur image ou de leur voix sont autorisées par l'autorité judiciaire”.4 Cette loi de la République s’avère être une avancée majeure dans la mesure où elle permet de redonner une identité à des personnes qui ont vu leur image disparaître au regard de la société au moment de leur incarcération. Permettre aux personnes détenues d’apparaître à visage découvert, c’est leur offrir l’opportunité de se reconstruire – réellement – une image, de se ré-envisager, de se ré-imaginer. Cela participe aussi des droits fondamentaux de la personne que sont le droit à la dignité et le droit d’expression.
Patrick Facchinetti, décembre 2011.
1 Le Prix Renaud-Victor au FID-Marseille. Avec le soutien du ministère de la Justice et des Libertés et du CNC, Lieux Fictifs, le Master Documentaire d'Aix et le FID-Marseille ont souhaité mener ensemble une action afin de faire résonner, dans une même temporalité, l’événement du Festival international de documentaires au centre pénitentiaire de Marseille. Une sélection d'une dizaine de films en compétition est présentée à des personnes détenues. Celles qui ont suivi cette sélection dans son ensemble ont pu, si elles le désiraient, se constituer membres du jury et exercer leur arbitrage à l'occasion de la nomination d'un film lauréat. Chaque film est accompagné et présenté par des étudiants du Master d'Aix et, dans la mesure du possible, par les réalisateurs. Préalablement, Lieux Fictifs a mis en place l’Atelier du regard dans la salle de cinéma des Ateliers de formation et d’expression audiovisuelle du centre pénitentiaire des Baumettes. Son objectif a été de familiariser ce public avec des films différents et avec l'exercice du jugement. Le film lauréat est doté par le CNC d’un montant de 5000€, équivalent à l’acquisition des droits pour sa diffusion au catalogue Images de la culture. Le prix Renaud-Victor au FID 2011 a été attribué aux Trois Disparitions de Soad Hosni de Rania Stefan.
2 Passeurs d’images est un dispositif qui consiste à la mise en place, hors temps scolaire, de projets d’action culturelle cinématographique et audiovisuelle en direction des publics, prioritairement les jeunes, qui, pour des raisons sociales, géographiques ou culturelles, sont éloignés d’un environnement, de pratiques et d’une offre cinématographiques et audiovisuelles. Un nouveau protocole interministériel relatif au dispositif Passeurs d’images a été signé en octobre 2009 par le ministère de la Culture et de la Communication, le secrétariat d’Etat chargé de la politique de la ville, le CNC, l’Acsé et le ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives. Avec la signature de ce nouveau protocole, l’opération s’étend sur tout le territoire national, à l'ensemble des régions métropolitaines et à l'outre-mer, en s'appuyant sur les partenariats engagés avec les collectivités locales, les salles de cinéma, les associations professionnelles du cinéma et de l’audiovisuel et les associations à vocation sociale ou d'insertion. Elle a aussi vocation à s’ouvrir aux personnes placées sous main de justice. Passeurs d’images est coordonné par l’association Kyrnéa International.
passeursdimages.fr
4 Extrait de l’article 41 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.