En 1992, Ousmane Sembène (1923-2007) vient de réaliser Guelwaar. Christine Delorme s’entretient alors longuement avec lui à propos de ce film, mais aussi d’un projet sur lequel il travaille depuis trente ans et qu’il ne réalisera jamais, Samori. Face caméra, le réalisateur et romancier sénégalais parle surtout de la culture africaine, de la langue et de la communauté, remettant en question, non sans humour, le point de vue occidental.

Plus qu’une dynastie africaine, les Guelwaars représentent pour Sembène une certaine façon d’appartenir à une communauté. En se penchant sur leur histoire, il analyse comment un acte individuel peut souiller tout un groupe. Le cinéaste aime partir de faits divers, de problématiques liées aux sociétés qu’il connaît bien. Il cherche à exprimer à "haute voix les pulsations secrètes de son peuple" et se veut "le griot témoin de son époque". Le scénario de Samori se nourrit de longues recherches autour de légendes de tradition orale. La question de la langue est centrale : le titre de son court-métrage Borom Saret (1963, Le Charretier) est du "petit-nègre", dit-il non sans humour, tandis que sur les murs de sa maison sont dessinés – par ses soins – des idéogrammes africains... Pour lui, le syncrétisme des langues témoigne d’une richesse que les Français devraient prendre en exemple. Provocateur, Sembène finit par sortir du champ de la caméra en disant que l’apprentissage est un travail à faire vers l’autre.

(Martin Drouot)