En Guadeloupe, quelque 11 000 personnes vivent sur l’île de Marie-Galante : 1300 d’entre elles cultivent de la canne à sucre. La sucrerie-rhumerie de Grand Anse est la seule raffinerie de l’île. Construite sous l’esclavage et sans cesse agrandie depuis, elle est aujourd’hui passablement vétuste : seuls les travailleurs insulaires savent la faire tourner, dans des journées de travail harassantes. 

Sylvaine Dampierre construit son film en deux narrations mêlées. La première nous raconte l’industrie sucrière, des champs de cannes jusqu’au sucre roux. La seconde relate le supplice et le meurtre d’un esclave de Grand Anse par son maitre en 1842 : tirés des archives de l’île, les témoignages d’esclaves sont rapportés par les ouvriers de l’actuelle usine – leurs probables descendants. Paroles de nègres porte dès lors une puissante charge mémorielle, mêlée à un amer constat : cette usine croulante est un joyau pour l’île, où un seul emploi ne suffit pas à vivre dignement. Aux témoignages exhumés du procès de 1842 s’ajoutent ceux des travailleurs : “Si tes parents ont un peu de terre, tu peux planter un peu de canne.” Un planteur raconte ainsi être le seul de sa fratrie à être resté sur la terre de ses parents : voilà des années qu’il plante à perte, comme la canne ne vaut rien pour les petits producteurs. Aujourd’hui encore, les habitant.e.s de l’île triment pour faire du sucre : les voix d’esclaves auxquelles ils redonnent vie résonnent d’autant plus douloureusement, dans cette vieille usine dont on prend pourtant soin comme d’une bonne amie. 

(Noé Vidal-Giraud)